jeudi 28 janvier 2010


Susie Morgenstern

L'Orpheline dans un arbre

(L'école des loisirs, Médium, 2005, 209 pages)


Clara-Camille Caramel a quinze ans et est orpheline. Ses parents se sont tués en avion alors qu’elle n’avait que deux ans et demi. Sa grand-mère a pris soin d’elle durant quatre années avant de partir elle aussi pour ce voyage dont on ne revient jamais. La vieille femme se sachant condamnée avait tout prévu pour sa petite-fille. Et voilà ! Clara-Camille vit dans une pension de luxe pour orphelins fortunés. Elle a tout !... sauf une famille. Mais voilà qu’elle gagne un concours d’écriture dont la récompense n’est autre que passer quinze jours dans une famille américaine. Chouette !
Mais arrivée à l’aéroport de San Francisco, elle est attendue par Jeremiah, un « vieux croûton » de soixante-quinze ans. Et puis elle découvre que celui-ci vit seul avec un chien gigantesque et fabrique des maisons dans les arbres.
Que faire ? Ce n’est pas du tout ce qu’elle attendait de ce voyage. Repartir ? Mais ne faut-il pas aller au bout des choses pour parfois découvrir ce que la vie peut offrir de plus surprenant ?

C’est le premier livre que je lis de Susie Morgenstern et j’ai été agréablement surprise par la douceur et la poésie de sa plume. Elle aborde dans cette histoire originale des moments importants que peut traverser toute jeune fille de cet âge. Elle sait le faire avec humour, un humour bienveillant. Ses personnages sont charmants, surtout le vieux Jeremiah. Un homme étonnant.
Deux choses m’ont particulièrement touchée dans cette histoire. La première est qu’il est important d’apprendre à écouter son cœur pour ne pas passer sa vie à avoir des regrets. La deuxième : pour aider un alcoolique, l’amour ne suffit pas. Car comme le dit ce cher Jeremiah, il s’agit là d’un « dispositif détraqué qui siège dans son cerveau. Il n’y a que lui seul qui peut s’en débarrasser et s’aider. »

(Novembre 2008)

Gabrielle Wittkop (1920 - 2002)

Sérénissime assassinat

(Points, 2002, 128 pages)


Venise, janvier 1796.
« − Ne peut-on lire sans être dérangé à tout bout de champ ?
Debout devant lui, la Rosetta tortille son tablier :
− C'est que Signor... votre femme est morte...
− Encore ?! »
L'histoire d'Alvise Lanzi nous entraîne dans la Venise du siècle des Lumières, une ville de miroirs et de labyrinthes. Comme un reflet dans un miroir d'eau, c'est une ambiance trouble qui règne dans la maison Lanzi. Pour la quatrième fois en trente ans, Alvise est catapulté dans l'état de veuvage...
« Cachez ces taches. Elle a terriblement souffert. »
Quatre épouses mortes dans de mystérieuses circonstances et d'atroces convulsions.
« On ne peut décemment pas lui laisser le visage découvert. »
Cet enchaînement suscite bien des murmures et des interrogations.
« N'oublions jamais les leçons de l'Antiquité, si bien versée dans la science des herbes. »
On soupçonne l'entourage d'Alvise, puis Alvise lui-même...


Gabrielle Wittkop définit Sérénissime assassinat comme « roman-mystérieux », qui demeure inexplicable jusqu'à sa fin rationnelle. Au delà de la recherche du coupable, l'intérêt du récit se trouve dans l'excellente restitution d'une ambiance fantasque et dangereuse, le style baroque et raffiné de l'auteur aidant. Voilà pour la forme, pleine d'esthétisme, mais d'une beauté vénéneuse.

Et c'est là qu'on aborde le fond... mais nous naviguons en eaux troubles avec cette auteure! Au cours de mes humbles recherches sur cette dame, j'ai souvent croisé les termes de « divine Wittkop ». Intriguant ! lorsqu'on a soi-même ressenti tout au long d'une lecture, le souffle d'une extrême arrogance ! L'auteur se présente au début du récit sous le couvert du « joueur de bunraku faisant agir ses marionnettes ». Ce qui est compatible avec le mépris dont elle fait preuve envers ses personnages ; le pire étant lorsque le personnage s'avère être un enfant. Mais elle revient à plusieurs reprises sur cet état de chose comme pour mieux avérer sa toute-puissance. Toute personne se fait démiurge de l'imaginaire lorsqu'elle crée un univers et ses personnages mais l'auteur a souvent la subtilité de se faire le plus petit possible pour mieux laisser évoluer cette création. Or dans ce livre, la présence de Gabrielle Wittkop est trop lourde. D'ailleurs, puisque nous sommes entraînés dans la ville des miroirs, ne peut-on remarquer comme son visage est partout présent ? Je l'ai vu en Ottavia Lanzi, le personnage, soit-dit en passant, le moins maltraité de l'histoire. Un passage fait écho aux différentes informations piochées çà et là sur l'auteur : « Elle [Ottavia Lanzi] dirige sa pensée dans l'esprit des Lumières mais fort à l'encontre de ce qu'il y a en elle de sombre, de chtonien, d'archaïque, de toutes ses ivresses de vieille pythie. »

Sans surprise, l'écriture de Wittkop se fait perverse jusqu'au bout des lettres. Plane une sombre délectation pour la souffrance de l'autre, considéré comme objet de jeux malsains. L'aversion totale de l'auteur pour les enfants est clairement exprimée dans certains passages. Alors, pendant que d'autres la considèrent comme « divine », moi je me demande comment peut-on autant détester les enfants lorsqu'on l'a été soi-même (c'est inévitable). Mais elle se plaît à dire dans une interview à propos de son enfance et des enfants de son âge : « Ils étaient bêtes, inférieurs à moi. Moi, j'étais déjà une adulte, comprenez-vous. J'ai toujours été une adulte. » Un bel esprit certes, érudit et inventif, mais un peu à côté de la réalité.
J'introduis plusieurs éléments concernant l'auteur car il est difficile de ne pas s'interroger et chercher à mieux comprendre une écriture si pleine de perversité.

Pour conclure, Sérénissime assassinat reste une lecture intéressante pour son « originalité » de forme : l'ambiance sombre et pesante, l'écriture raffinée et poétique. Mais une profondeur qui gravite autour d'un nombril : noirceur de l'âme, perversité, extrême arrogance... Narcisse dispose et se contemple dans les différents miroirs de cette histoire et on s'en lasse. A ce niveau, rien de nouveau sous le soleil.

(Novembre 2008)

Lucienne Cluytens

Lille-Québec aller simple

(Ravet-Anceau, 2008, 320 pages)


Le capitaine Flahaut de la PJ de Lille enquête sur le meurtre du docteur Lantin, pédiatre et chef de clinique de Saint-Amand-les-Eaux. Au cours des différents interrogatoires, les proches de la victime la définisse comme transparente et sans ennemi connu ; on pense à un crime de voyous en quête d'argent. Mais le capitaine Flahaut n'y croit pas car un fait l'intrigue : pourquoi a-t-on brûlé les yeux de la victime à l'aide d'un sabre chauffé à blanc ?
A mesure que l'enquête avance, le capitaine Flahaut sent que la clef de l'énigme se trouve au Québec, en Gaspésie, où le docteur Lantin se rendait quelques jours chaque année. Mais une fois sur place, il découvrira qu'une inconnue l'a devancé et a elle-même enquêté sur les mystérieuses activités du médecin.

Du même auteur, j'avais déjà lu Les Peupliers noirs, un polar qui m'avait bien plu. Là encore, on est heureux de retrouver l'intérêt de l'auteur pour les gens simples, victimes d'injustices. Des personnages que l'on pourrait croiser dans les rues de Lille. Il semble aussi que Lucienne Cluytens ait beaucoup de tendresse pour ses personnages car elle sait les rendre très attachants. La relation d'amitié de Marc Flahaut et Esther m'a particulièrement touchée.
L'intrigue se dessine sur fond d'erreur médical et de pédophilie. De mon point de vue, ce récit tend à désacraliser le monde médical et montre que les gens de peu sont parfois bien démunis face à une erreur médicale. Le thème de la pédophilie est abordé avec tact ; l'auteur en dit peu et c'est bien assez pour comprendre.
C'est donc un livre qui se déroule principalement dans le Nord-Pas-de-Calais, avec des ch'tis pour protagonistes. Cependant, une partie de l'histoire se déroule au Québec, en Gaspésie plus exactement. La nature sauvage et la chaleur des Québécois sont mis en avant. On aimerait tous avoir Sylvie pour amie. La situation des Micmacs, peuple amérindien, est également évoquée.
J'aime bien l'univers de Madame Cluytens et je guette la sortie de son prochain livre.

(Septembre 2008)

Daniel Pennac

Cabot-Caboche

(Pocket Junior, 1998, réédition 2009, 208 pages)


Quelle vie de chien ! Et il se bat courageusement pour vivre et rester digne, Le Chien. Les hommes sont si imprévisibles qu'il a peu de repères pour échapper à leur cruauté. Heureusement, Le Chien rencontrera Gueule Noire, le Laineux, Le Hyéneux, d'autres chiens et de vrais amis, qui lui apprendront à survivre et qui l'aimeront sincèrement. Du côté des hommes, il y a tout de même Pomme que Le Chien aimerait avoir pour maîtresse, mais la petite fille est si capricieuse. Pour obtenir son amour, notre héros va entamer un véritable parcours du combattant. Et y parviendra-t-il ?


Cette histoire invite à porter un regard empli de dignité et d'amitié sur notre relation d'homme à chien. Car l'amitié n'est possible que si la dignité de chacun est respectée, l'homme s'engage à n'être ni dresseur ni dressé.
La sincérité et la poésie du texte m'ont enchantée. L'histoire du Chien est loin d'être rose et certains passages m'ont rendue bien triste. D'autres m'ont fait sourire, notamment la "bêtise" des hommes vue par Le Chien. L'issue m'a cependant laissée perplexe. Preuve qu'il me faut encore travailler mon optimisme vis-à-vis de ma propre espèce.


"Mais, bon sang, que la voix de la Poivrée est aigüe ! Et ce qu'elle peut être bavarde ! S'il n'avait pas besoin de ses quatre pattes pour se tenir debout, Le Chien se boucherait les oreilles avec les pattes de devant. Mais il a toujours refusé de singer les hommes."

"Déconcerté, il s'asseyait, comme font tous les petits chiens, en tombant lourdement sur son derrière."

"Il marchait à petits pas de petit chien, très rapides, comme quatre aiguilles qui tricotent."

(Septembre 2008)

Patrick Süskind (Allemagne)

Le Pigeon

(Le Livre de Poche, 1988, 96 pages)


Jonathan Noël est un ermite dans la ville. Non pas un homme qui se retire par philosophie ou pour prier, mais par peur. Jonathan Noël est un homme écorché par la vie, qui pour se rassurer mène une vie réglée comme du papier à musique et se réfugie dans une chambre de bonne d'à peine 7 m². Son cocon. Cette chambre est son seul projet, son seul rêve. Chaque matin, c'est pour elle qu'il part travailler, pour qu'elle lui appartienne. Mais un jour, ce cocon est menacé par un pigeon. Ce qui déclenche chez Jonathan une véritable crise existentielle.


Patrick Süskind fait un portrait hilarant d'un homme en pleine détresse psychique. Le comportement de Jonathan est en effet si excessif qu'il en devient clownesque. On rit beaucoup et c'est très bien. Mais ce qui est intéressant, c'est que l'on rit tout en ressentant une profonde sympathie pour Jonathan. L'image répétée de Jonathan avec "sa valise, son manteau et son parapluie" semble, au premier abord, le ridiculiser, car ces objets nous rappellent son délire face au pigeon. Mais elle montre surtout un homme seul, abandonné, qui n'a plus que "sa valise, son manteau et son parapluie", qui n'a plus en fait que cette détresse qui submerge son esprit et paralyse son corps.

Mais pourquoi Jonathan a-t-il une réaction aussi excessive face au pigeon ? Il semble qu'à travers sa chambre, c'est sa vie que cet oiseau menace, ce pigeon dont le "plumage lisse était d'un gris de plomb". La même couleur que celle des uniformes de ceux qui ont emmenés ses parents en juillet 1942 ?
Ce n'est donc pas l'histoire d'un simple excentrique qui n'aurait ni queue ni tête. Cette histoire raconte le chemin sinueux qu'un homme va devoir emprunter pour se défaire d'un traumatisme qui l'enchaîne depuis l'enfance.

Pour ma part, je considère ce livre comme porteur d'espoir car il semble nous dire que nous ne sommes pas condamnés par nos traumatismes, mais qu'il est nécessaire de les regarder en face pour commencer de s'en libérer.

(Septembre 2008)

Colette (1873 - 1954)

La Chatte (1933)

(Le Livre de Poche, 1971, 192 pages)


Les premières pages m'ont fait un peu peur. Le style, les personnages, je n'y ai pas accroché tout de suite. Et puis, doucement, j'ai aimé les descriptions faites du jardin et surtout, la capacité de l'auteur à rendre la beauté, la grâce, l'insondable qu'on connaît des chats.
Cette chatte, prénommée Saha, est magnifique mais effrayante ! Sa présence, sa prestance même, envahit le livre et la vie des personnages. L'histoire du couple, en elle-même, ne m'a pas vraiment intéressée. Mais la relation étrange d'Alain et de Saha m'a vraiment intriguée.

Deux semaines après cette lecture, j'ai pensé aux personnes qui ne jurent que par leur animal de compagnie ; ce chien, par exemple, qui dort sur le même lit que le couple, finit par y prendre toute la place et par avoir droit à plus d'attention que le conjoint. Avec cette histoire étrange et aux abords impénétrables, Colette n'est finalement pas éloignée d'une certaine réalité, celle de l'anthropomorphisme. Car les dernières pages du livre sont si déroutantes, Saha semblant si humaine, qu'il est intéressant de s'interroger sur le regard qu'Alain porte sur elle et la place de l'animal au sein de la communauté humaine.

(Août 2008)
Tome 1

Manu Larcenet

Le Combat ordinaire

Tome 1 : Le Combat ordinaire (éditions Dargaud, 2003) "Meilleur album Agoulême 2004"
Tome 2 : Les Quantités négligeables (2004)
Tome 3 : Ce qui est précieux (2006)
Tome 4 : Planter des clous (2008)


Le Combat ordinaire
est l'histoire d'un homme comme un autre. Pas de pouvoirs surnaturels, ni de costume moulant, ni de cape, qui feraient de lui un super héros.
Marco, personnage principal de cette série, est un photographe fatigué, un homme qui se cherche, qui a une relation compliquée avec ses parents, qui a peur de s'engager sur le plan affectif (cette dernière proposition découlant souvent de celle qui la précède) et qui avec tout cela, faut-il s'en étonner, est sujet à de terribles crises d'angoisses.
Des rencontres et événements vont l'aider à avancer, comprendre, s'épanouir...

L'histoire de Marco est passionnante parce qu'elle nous renvoie à nous-mêmes. Les passages de réflexion, d'analyse, sont vraiment dignes d'intérêt. Le graphisme est simple ; ce qui, à mon avis, amplifie la charge émotionnelle de certains passages. Les illustrations des scènes qui se déroulent à la campagne, dans les bois, sont particulièrement jolies.
Tout au long de la série, l'auteur nous parle des joies et des difficultés d'être père. D'ailleurs, les moments que Marco passe avec son père et où il pense à lui m'ont beaucoup émue. Les séances de psychothérapie de Marco m'ont fait rire, surtout avec son second psy (qui semble bien plus compétent que le premier). J'ai adoré la petite Maude, ses questions et ses découvertes. Il y a des scènes très touchantes avec ce personnage. La réflexion portant sur la classe ouvrière à travers les projets photo de Marco interpelle. En parallèle de l'arrivée au pouvoir de Sarkozy dans le tome 4, c'est même franchement intéressant.
Clin d'œil spécial au chat pénible du tome 1 et au petit chat noir du tome 4 qui m'ont beaucoup amusée.

Une série BD intelligente, très drôle et touchante.

(Avril 2008)

Sylvain Tesson

Petit traité sur l'immensité du monde

(Pocket, 2008, 192 pages)



Il ne s'agit pas du récit d'un voyage en particulier mais d'un hommage aux vagabonds de tout temps et de tout lieu. "Pour saluer leurs ombres qui passent, furtives, sur le tapis du monde", dira l'auteur.
On sait que le temps est une donnée relative et Sylvain Tesson évoque le rapport qu'a le voyageur avec celui-ci. N'a-t-on jamais remarqué comme le temps s'étire lorsqu'on se balade en forêt et comme il fuit lorsqu'on court en ville ? Il parle aussi du corps et de l'âme du voyageur, des nouveaux terrains à explorer, de la particularité de voyager à cheval qui entraîne une "nouvelle lecture du monde", de sa passion pour la géographie et, plus précisément, la géomorphologie qui permet de revenir à une orientation naturelle. Il explique également son désenchantement vis-à-vis de ses semblables et sa méfiance envers "l'humanisme béat". Puis, il nous livre de beaux passages sur l'escalade de cathédrales (entre autres) et ses nuits passées dans les branches d'un arbre. Enfin, il nous confie ce qu'il souhaite quand la fin sera proche ; ce qu'on comprend aisément après avoir partagé ses pensées.

C'est un livre court mais très riche. Mes yeux ne sont pas restés bien longtemps collés au texte car celui-ci fait réfléchir à de nombreuses reprises et, parfois même, entraîne l'esprit vers le large.
Le chapitre 8, intitulé "Aux bords de l'humanisme", m'a particulièrement touchée et interpelée. Sylvain Tesson y évoque "l'universelle oppression de la moitié de l'humanité par l'autre", et il faut comprendre l'oppression des femmes par les hommes. Et à ce sujet, son témoignage est effarant.
J'ai aussi beaucoup aimé l'idée du voyage au cours duquel on se "présente à la nature à armes égales", c'est-à-dire à pied, à cheval, à vélo. J'imagine que ce doit être très différent de voyager de cette façon, bien plus intense.
Concernant l'écriture, elle est concise et directe. L'auteur va droit au but. Cependant, j'ai parfois regretté qu'il ne s'attarde pas plus sur certaines idées.
Beaucoup de poésie aussi dans ce petit traité surtout lorsqu'il évoque la féerie. Comme une échappée loin de la laideur du réel.

(Avril 2008)

Akif Pirinçci (Allemagne)

Chien méchant
Une enquête du détective Francis

(Belfond, 2001, 264 pages)


"En amour comme à la guerre, tous les coups sont permis, dit-on. Mais, s'il en va ainsi, l'amour aussi est permis en temps de guerre, et j'allais en faire l'expérience dans les jours suivants. Comme si souvent dans la vie, pourtant, cet amour ne se révélerait tel qu'une fois l'objet aimé envolé. Venez, suivez-moi ; je vais vous raconter une histoire de guerre et d'adversaires aimables, une histoire où l'on verra que les ennemis nous sont aussi indispensables que l'air que l'on respire."

Ainsi débute l'histoire que va nous conter un détective très spécial : Francis le chat.

Des chats et des chiens sont retrouvés assassinés et présentent une étrange marque de morsure à la gorge. Tandis que Francis rechigne à mettre de côté sa petite vie tranquille pour reprendre du service, son ami Barbe-Bleue lui annonce que cette série de meurtres est sur le point de déclencher une guerre. En effet, la communauté des chats et celle des chiens s'accusent l'une l'autre de ces meurtres ignobles. Mais qui a donc intérêt à déclencher une guerre ?
La curiosité de Francis l'emportera sur son amour du confort, puis la découverte du dernier cadavre finira de le convaincre qu'il lui faut absolument résoudre cette affaire. Mais puisque les deux communautés sont concernées, il sera flanqué d'un partenaire, un "clébard" nommé Hektor, ex-chien policier à la retraite.
Francis peinera à réunir les pièces du puzzle dans cette enquête et pour cause, il découvrira qu'il n'est qu'un simple pion sur l'échiquier d'un esprit diabolique.


J'ai adoré le langage soutenu de ce cher Francis, chat âgé de 97 ans. Mêlé à son esprit caustique, son humour féroce, cela devient un vrai régal. J'ai relu certains passages deux ou trois fois, tellement ils m'ont fait rire, tellement je les ai appréciés !
J'ai trouvé Francis plus qu'attachant ; on aimerait l'avoir pour chat ! Le personnage de Barbe-Bleue est très drôle aussi ("merde alors"). Et ce pauvre vieux Hektor, on l'adopterait sur le champ.

Pour ce qui est de la forme, ce livre est un vrai polar, bien plus à mon goût que tous les Jean-Christophe Grangé et Patricia Cornwell réunis. Peut-être trouverez-vous ça louche. Et pourtant, j'ai rarement eu autant de plaisir à lire un polar.
Pour ce qui est du fond, il y a de la matière pour une réflexion après lecture. A travers les tensions et menaces entre chiens et chats, on retrouve le thème du racisme et plus globalement de l'intolérance. Et si l'homme prenait exemple sur la capacité qu'a Francis le chat à se remettre en question pour changer et devenir meilleur, le monde serait bien différent. Et puis de l'ethnocentrisme découle ce fléau qu'est la guerre, dont l'absurdité est exposée très simplement, comme une évidence, tout au long du livre. Les manoeuvres politiciennes sont également dénoncées avec beaucoup d'humour. Il y a aussi plusieurs notes très intéressantes concernant les animaux et surtout les chats, bien sûr. Deux m'ont particulièrement intéressée : Miacis, ancêtre commun des félidés et des canidés, apparu sur la scène de l'évolution voici soixante millions d'années, à l'ère du paléocène. Et l'utilisation des animaux par l'homme durant toutes les guerres de l'histoire !

Bref, un livre plein d'humour, très bien écrit, mettant en scène des personnages très attachants, pour une enquête bien menée, sur fond intelligent.

"L'homme, dans son infinie méchanceté, n'ayant jamais pu se consoler de la perte irrémédiable de son innocence, avait cherché, mû par une jalousie toute primitive, à impliquer dans ses turpitudes tous ceux qui ne l'avaient pas encore perdue. Oui, les animaux avaient participé à toutes les guerres. Mais leur coller une culpabilité morale sur le dos n'était pas possible, même avec la meilleure volonté du monde. La faute était du côté des hommes, et nulle part ailleurs."

(Avril 2008)

mercredi 27 janvier 2010


Caroline Graham (Royaume-Uni)

Ange de la mort

(J'ai lu, 2003, 412 pages)


A Fawcett Green, paisible petit village anglais, on est intrigué par la disparition de Simone Hollingsworth. Pourquoi cette femme sans histoires et plutôt effacée a-t-elle décidé de tout quitter ? Et pourquoi avoir pris rendez-vous avec la coiffeuse et invité Sarah Lawson à prendre le thé pour ce même jour ? Le pasteur puis le constable Perrot vont rendre visite au mari, Alan, et découvrir son triste état et son étrange comportement.
Malheureusement, il s'écoulera quarante-huit heures avant que les autorités compétentes prennent connaissance du rapport rédigé par le constable Perrot. Dès lors, il sera impossible de mener un interrogatoire plus approfondi d'Alan Hollingsworth, retrouvé chez lui dans un état bien plus critique : mort.
La cause du décès s'avère être une surdose de somnifères. Tout le monde croit au suicide. Cependant, l'intuition de l'inspecteur Tom Barnaby lui souffle tout autre chose.
L'enquête qu'il ménera avec le sergent Troy ne sera pas une tâche facile. Le manque d'indices est désespérant et les témoignages ont plutôt tendance à brouiller les pistes. Barnaby saura-t-il dépasser les apparences les plus trompeuses ?

Il est sûr qu'en lisant une enquête de l'inspecteur Barnaby, on pense tout de suite à Agatha Christie et son célèbre héros, Hercule Poirot. Tout ou presque est une question de méninges et l'on découvre l'essentiel des réflexions et observations de l'enquêteur à la fin du livre.

Beaucoup d'humour aussi et grinçant. Des descriptions sans concessions. Les personnages sont souvent épinglés pour leur bêtise, leur ridicule, leur hypocrisie ou encore leur méchanceté. Cependant, on sent aussi une certaine tendresse émerger par moment. Les Brockley par exemple, tout étriqués dans leur vie et dont le loisir favori est l'espionnage des voisins, deviennent attachants dans leur inquiétude et leur détresse pour leur fille Brenda.
Le couple Barnaby-Troy est plutôt réussi ; leurs mentalités sont si différentes. Barnaby est plutôt un gros nounours attachant alors que Troy est franchement exécrable. D'ailleurs, ça se retrouve un peu dans la sonorité des deux noms. Barnaby, Barnabé pourrait être le prénom d'un ours en peluche, alors que Troy fait penser à un troll et à sa finesse légendaire. En effet, l'auteur nous a concocté un sergent Troy macho, la tête emplie de préjugés et profondément imbu de sa personne. Le comportement qu'il adopte envers le constable Perrot est absolument insupportable : jouer des faiblesses de l'autre afin d'asseoir sa supériorité ! Mais il sera, à son tour, fortement déstabilisé et blessé par la suite. Ce qui revient à rééquilibrer les choses car on n'a plus cette impression de toute puissance.
Ange de la mort bénéficie d'une intrigue assez intéressante et bien menée. L'issue de l'enquête est plutôt inattendue et loin d'être un total soulagement. C'est surtout l'ambiance, les dialogues, les descriptions que j'ai appréciés.

(Mars 2008)


Arto Paasilinna (Finlande)

Le Lièvre de Vatanen

(Folio, 2006, 224 pages)


Kaarlo Vatanen est journaliste à Helsinki et marié. Mais Kaarlo Vatanen n'aime ni son boulot ni sa femme. Un homme malheureux qui se ment à lui-même. N'est-ce pas un pléonasme ?
Un soir d'été, alors qu'il revient de la campagne accompagné d'un collègue, ce dernier heurte un lièvre sur la route. Vatanen s'alarme, le photographe arrête donc le véhicule pour qu'il puisse aller voir dans quel état se trouve le pauvre animal. Le photographe reste dans la voiture, interpelant Vatanen et l'encourageant à abandonner ses recherches, car il estime ne pas avoir de temps à perdre avec "cet idiot de lapin".
Seulement, Vatanen ne rejoindra jamais son collègue. Après s'être enfoncé dans les bois, avoir retrouvé le lièvre blessé à la patte et lui avoir confectionné une attelle, Vatanen s'enfoncera délibérément dans la nature. Ainsi débutent les multiples et étonnantes aventures de Vatanen et de son lièvre fétiche. Remontant vers le cercle polaire au fil des saisons, il rencontrera d'étranges personnes.

J'ai beaucoup apprécié la première moitié du livre mais j'ai été plutôt déçue par la seconde.
Je me suis réjouis de la présence du lièvre qui y est pour beaucoup dans le comique de l'histoire, bien que les situations et les personnages soient souvent burlesques.
L'évolution du personnage principal est intéressante car son vagabondage à travers la Finlande semble l'amener vers une rencontre avec lui-même.
La seconde moitié du livre m'a donc un peu déçue car j'ai sentie une écriture plus sombre, les personnages et les situations m'ont moins touchée.
Heureusement, l'épilogue est très amusant, on y retrouve l'optimisme du début et le fil conducteur de l'histoire, la liberté, se fait encore plus évident.

Je ne sais pas ce que l'éditeur entend exactement sous les termes "roman d'humour écologique". Mais que ce livre soit un roman-culte peut se comprendre par l'espoir qu'il transmet. Ce que j'ai compris est qu'après tout, on a besoin de peu de choses pour être heureux ; l'essentiel étant d'être honnête avec soi et de toujours tendre vers la liberté. La nature est l'endroit idéal pour se ressourcer, se retrouver.
Les grands espaces, l'état sauvage, me font penser aux esprits insoumis. Ne faut-il pas avoir autant de courage pour se lancer à la découverte des grands espaces de ce monde et pour penser par soi-même ?

(Mars 2008)

Alphonse Daudet (1840 - 1897)

Les Lettres de mon Moulin (1869)

(Pocket, 2005, 224 pages)


Oeuvre composée de 24 lettres : Installation, La Diligence de Beaucaire, Le Secret de Maître Cornille, La Chèvre de M. Seguin, Les Étoiles, L'Arlésienne, La Mule du pape, Le Phare des Sanguinaires, L'Agonie de la Sémillante, Les Douaniers, Le Curé de Cucugnan, Les Vieux, Ballades en prose, Le Portefeuille de Bixiou, La Légende de l'homme à la cervelle d'or, Le Poète Mistral, Les trois messes basses, Les Oranges, Les deux auberges, A Milianah, Les Sauterelles, L'Élixir du Révérend Père Gaucher, En Camargue, Nostalgies de caserne.


L'auteur évoque surtout la Provence, mais aussi la Corse et l'Algérie. Le décor est toujours planté avec beaucoup de poésie et tout semble vivant. La nature est très présente à travers les astres, le vent, la mer, les arbres et surtout les animaux qui sont dans certaines lettres humanisés ; ce qui me fait toujours beaucoup rire. Le rire justement, la gaieté de vivre est mise à l'honneur dans certaines lettres. Mais il y a aussi des histoires tragiques à l'atmosphère sombre.

L'auteur est un fameux conteur car il arrive à faire passer beaucoup d'émotion à travers de simples détails. Dans Le secret de Maître Cornille, par exemple, toute l'inquiétude et la tristesse qu'inspire Maître Cornille et son moulin se retrouvent dans « un grand chat maigre qui prenait le soleil sur le rebord de la fenêtre et vous regardait d'un air méchant ». Il est amusant aussi qu'un personnage soit évoqué par un objet qui parle pour lui, comme dans La Diligence de Beaucaire : « un homme... non ! une casquette, une énorme casquette en peau de lapin ».

L'écriture est belle, musicale et nous plonge, dès les premiers mots, tout entier dans l'univers de chaque histoire. C'est vif, frais, comme le souffle du mistral.

Ce fut une lecture agréable et plutôt reposante, car on ressent cette lenteur de la vie d'autrefois où l'on se déplaçait à pied, en diligence, à cheval ou à dos d'âne.


« Ce sont les lapins qui ont été étonnés !... Depuis si longtemps qu'ils voyaient la porte du moulin fermée, les murs et la plate-forme envahis par les herbes, ils avaient fini par croire que la race des meuniers était éteinte, et, trouvant la place bonne, ils en avaient fait quelque chose comme un quartier général, un centre d'opérations stratégiques : le moulin de Jemmapes des lapins... La nuit de mon arrivée, il y en avait bien, sans mentir, une vingtaine assis en rond sur la plate-forme, en train de se chauffer les pattes à un rayon de lune... Le temps d'entrouvrir une lucarne, frrt! voilà le bivouac en déroute, et tous ces petits derrières blancs qui détalent, la queue en l'air, dans le fourré. J'espère bien qu'ils reviendront.


Quelqu'un de très étonné aussi, en me voyant, c'est le locataire du premier, un vieux hibou sinistre, à la tête de penseur, qui habite le moulin depuis plus de vingt ans. Je l'ai trouvé dans la chambre du haut, immobile et droit sur l'arbre de couche, au milieu des plâtras, des tuiles tombées. Il m'a regardé un moment avec son œil rond ; puis, tout effaré de ne pas me reconnaître, il s'est mis à faire : « Hou ! Hou ! » et à secouer péniblement ses ailes grises de poussière ; - ces diables de penseurs ! ça ne se brosse jamais... N'importe ! tel qu'il est, avec ses yeux clignotants et sa mine renfrognée, ce locataire silencieux me plaît encore mieux qu'un autre, et je me suis empressé de lui renouveler son bail. Il garde comme dans le passé tout le haut du moulin avec une entrée par le toit ; moi je me réserve la pièce du bas, une petite pièce blanchie à la chaux, basse et voûtée comme un réfectoire de couvent. »

(Février 2008)

Jean-Christophe Grangé

Le Serment des limbes

(Albin Michel, 2007, 224 pages)



Quatrième de couverture : Quand Mathieu Durey, flic à la brigade criminelle de Paris apprend que Luc, son meilleur ami, flic lui aussi, a tenté de se suicider, il n'a de cesse de comprendre ce geste.
Il découvre que Luc travaillait en secret sur une série de meurtres aux quatre coins de l'Europe, dont les auteurs orchestrent la décomposition des corps des victimes et s'appuient sur la symbolique satanique.
Les meurtriers ont un point en commun : ils ont tous, des années plus tôt, frolé la mort et vécu une « Near Death Experience ».
Peu à peu, une vérité stupéfiante se révèle : ces tueurs sont des « miraculés du Diable » et agissent pour lui.
Mathieu saura-t-il préserver sa vie, ses choix, dans cette enquête qui le confronte à la réalité du Diable ?


Il est vrai que c'est un bon polar dans le sens où tous les éléments sont réunis pour tenir le lecteur par la barbichette. Une bonne dose de suspense, des éléments nouveaux en permanence, donc de nombreux rebondissements, beaucoup de mystère, une atmosphère bien sombre... etc.

J'ai été jusqu'au bout des 656 pages sans prendre plaisir à lire ce livre. Pourquoi ? J'étais curieuse de voir comment l'auteur allait se dépêtrer avec son histoire mystique. Pour le reste, il s'agit d'un véritable catalogue des horreurs, ce qui ne m'attire pas particulièrement.
J'ai été fort déçue par le dénouement. Comment est-ce possible ? Je devrais plutôt dire que cela est dû à un aspect du dénouement. La résolution de l'enquête est surprenante mais la réaction du personnage principal, Matthieu Durey, m'a beaucoup déçue. Je me suis dit : "Purée ! j'ai tenu 652 pages pour ça !". Pour ceux qui l'ont lu, il s'agit du dernier chapitre.

Bref, je n'ai pas trouvé mon bonheur avec ce livre. Mais je pense qu'il est intéressant pour les lecteurs qui sont mordus du genre polar et qui ne sont pas dérangés par des descriptions absolument horribles.

(Février 2008)

John Grogan (États-Unis)

Marley et moi
Mon histoire d'amour avec le pire chien du monde

(JC Lattès, 2007, 357 pages)


Si vous aimez les chiens ou, mieux encore, si vous partagez votre vie avec un labrador, ce livre est pour vous !

John et Jenny Grogan souhaitent fonder une famille. Cependant, Jenny, qui découvre qu'elle est incapable de maintenir une simple plante verte en vie plus d'une semaine, se demande si elle saura s'occuper d'un bébé. Attentif aux angoisses de sa femme, John finit par accepter la solution de celle-ci : adopter un chiot afin de tester leurs capacités parentales. C'est ainsi que Marley, un (imposant) labrador sable, entre dans la vie des Grogan, pour le meilleur et pour le pire.
Hormis ses croquettes, Marley avale beaucoup de choses ; en fait, pratiquement tout ce qui se trouve sous son nez. Il dévore les coussins, défonce de nombreuses baies vitrées, bave autant qu'il pleut en automne, est renvoyé de son école de dressage... et Marley est un chien phobique ! Bref, on comprend mieux le sous-titre du livre. Mais « le pire chien du monde » est aussi capable, dans les moments de peine, de consoler ses maîtres. Il est aimé malgré ses défauts et trouve sa place dans cette famille.

Un très beau livre, plein d'humour et de tendresse ! J'ai appris des choses très intéressantes concernant les labradors, notamment pourquoi ils sont si robustes. J'ai vraiment beaucoup ri et j'ai pleuré aussi. J'ai été très touchée par les derniers chapitres du livre, qui concernent le vieillissement de Marley. Il y a dans ces passages un concentré d'amour.

(Février 2008)

Stieg Larsson (Suède, 1954 - 2004)

Millénium 1 - Les hommes qui n'aimaient pas les femmes

(Actes Sud, 2006, 576 pages)


Ce livre est une toile d'araignée. Mon esprit s'en est approché et s'est pris dans ses filets. Le début me semblait un peu austère car on se retrouve plongé dans le monde des finances, du journalisme économique et des corruptions diverses et variées. Sujet très intéressant mais complexe, et même hermétique, si on y est totalement étranger. Mais tout ceci étant fort bien écrit, j'ai rapidement mis beaucoup d'intérêt à comprendre l'affaire.
D'autres histoires sont tissées en parallèle. Après avoir fait la connaissance du journaliste Mikael Blomkvist, auquel on s'attache très vite, on découvre l'étonnante Lisbeth Salander. J'adore ce personnage qui, de part sa personnalité et sa situation, nous pousse vers une remise en question des normes établies.
D'autre part, on est plongé dans une histoire familiale quelque peu troublante. Peu à peu, les fils de soie de cette toile vont se resserrer pour engendrer une nouvelle dynamique. Les différents personnages seront réunis autour d'une étrange affaire de disparition survenue il y a 40 ans. Personne ne croit en la résolution de cette disparition mais tout le monde cogite, fasciné par l'énigme. Leur persévérance les mènera vers quelque chose de totalement inattendu...

De mon point de vue, ce livre est un très bon polar. De plus, l'auteur y insère intelligemment de nombreux thèmes très intéressants comme la psychiatrie, les problèmes que soulève la mise sous tutelle, l'isolement social. Il aborde également l'histoire du nazisme en Suède ; en quelques phrases, l'auteur démontre l'absurdité de telles théories. On peut surtout remarquer l'omniprésence d'un thème : la condition féminine. Il serait d'ailleurs difficile de le manquer puisque chaque partie du livre est accompagnée par une phrase tel que : " En Suède, 46 % des femmes ont été exposées à la violence d'un homme ".

Un livre surprenant, ingénieux et enrichissant.

(Septembre 2007)

Agatha Christie (Royaume-Uni, 1890 - 1976)

Le Meurtre de Roger Ackroyd (1926)

(Le Livre de Poche, 1971, 256 pages)


Quatrième de couverture : Cela fait tout juste un an que le mari de Mrs Ferrars est mort. D'une gastrite aiguë. Enfin, c'est ce qu'il semble. Après tout, les symptômes de l'empoisonnement par l'arsenic sont presque les mêmes...
Hier, Mrs Ferrars est morte à son tour. Une trop forte dose de véronal. Suicide? Allons donc! Elle était encore jeune et très riche.
Et puis, aujourd'hui, Mr Ackroyd a été assassiné. Cette fois, le doute n'est pas permis. Mais pourquoi ? Bien sûr, Mrs Ferrars et Mr Ackroyd paraissaient fort bien s'entendre. Surtout depuis la mort du mari.
Alors les rumeurs vont bon train. Mais la réalité s'avère plus compliquée qu'il n'y paraît...


C'est le premier roman que je lis d'Agatha Christie. Une excellente intrigue qui déroute complètement ! Je n'ai pas su trouver le coupable par moi-même. L'idée m'avait vaguement traversée l'esprit mais je n'ai pas su soupçonner ce personnage sérieusement car l'auteur fait en sorte que l'on s'y attache plus qu'aux autres. Alors la fin du livre m'a perturbée car je me sentais perdue, je ne savais plus quoi penser. Je me suis mise à souhaiter d'autres pages pour voir qu'Hercule Poirot s'était fourvoyé. Je n'ose pas trop en dire plus de peur de donner quelques indices... Il vaut mieux se laisser totalement surprendre car c'est une émotion assez étrange. Un peu comme la mort d'un personnage auquel on s'est attaché.

J'ai beaucoup apprécié l'humour de l'auteur, qu'on peut qualifier de grinçant. Caroline, la sœur du narrateur est un personnage étonnant ! Une commère comme on en fait plus ! Enfin presque... Le passage où elle compare le comportement de son frère à celui d'un vieux fossile m'a beaucoup fait rire ! Et cette description aussi, faite par le narrateur : " Je regrette d'avoir à avouer que je déteste Mme Ackroyd. Elle est un composé bizarre d'os, de dents et de bijoux. Elle a des yeux bleu d'acier qui, si aimable qu'elle soit, restent toujours froidement calculateurs."

(Septembre 2007)

Jonathan Coe (Royaume-Uni)

La Femme de hasard

(Folio, 2007, 192 pages)


Maria, une jeune fille de milieu modeste, vit aux environs de Birmingham. Indifférente par choix, indécise par nature, elle trouve que l'on fait beaucoup de bruit pour peu de chose. Que valent les succès aux examens et les déclarations de Ronny qui l'aime désespérément, que penser des amis de classe avec leurs vacheries et leurs cancans ? Seul le chat, un exemple d'indifférence satisfaite, lui donne à penser qu'une forme de bonheur est possible. Mais comment être heureux lorsque votre vie est une succession d'accidents, de hasards.

Étrange livre que ce premier roman de Jonathan Coe (1987). Ce roman est une bulle de savon, comme insaisissable ! Pour moi, en tout cas. J'ai eu l'impression de me retrouver face à une non-histoire, à un non-personnage. Et cette Maria, quel personnage justement! Elle semble transparente par son indifférence extraordinaire et j'insiste sur le terme "extraordinaire". Parfois, sa sensibilité semble s'éveiller, et puis, pfuit ! le savon lui échappe des mains comme son histoire nous glisse entre les doigts.

Maria se laisse porter par indifférence mais il faudrait qu'elle soit totalement insensible pour que les conséquences ne soient pas dramatiques. Maria jalouse Sefton, le chat, indifférent et qui semble heureux de l'être. Cela me rappelle ma grand-mère lorsqu'elle me dit : "Faut pas t'en faire comme ça ! Regarde le chat. Il est complètement détendu. Il ne s'inquiète pas." En effet, un chat n'est pas affecté par grand chose... Maria aimerait se soustraire aux autres afin d'éviter toute contrariété. Cependant, même lorsque les autres sont absents, ils la hantent jusque dans ses rêves, l'empêchant d'atteindre la tranquillité à laquelle elle aspire.

Finalement, peut-être que sa conception du bonheur s'apparente au détachement du chat par rapport au monde qui l'entoure. Un idéal inaccessible ?

La notion de hasard est omniprésente. Maria ne choisit pas, elle subit. Elle n'échappe pas aux diverses influences de la société. Mais ce personnage irréel n'est-il pas le reflet d'un comportement connu ? Se laisser aller ? Laisser les autres choisir pour nous ? Des normes de bonheur nous sont imposés et rarement on ose les contrarier. Alors, on subit plutôt que de vivre et de trouver sa propre voie vers le bonheur. N'est-ce pas ce que veut nous faire entendre l'auteur dans ce livre sinistre ?

Paradoxalement, ce livre m'a beaucoup fait rire. Et oui ! L'auteur tourne en dérision les clichés d'une vie heureuse, ironise sur le sort désespérant de son héroïne ( "Honnêtement, je commence à en avoir marre de Maria , et de son histoire, tout comme Maria commence à en avoir marre de Maria, et de son histoire." ). Et puis, il y a le fameux passage où Maria vit entourée de folles. J'ai aussi trouvé original le fait que l'auteur interpelle directement le lecteur pour lui demander d'imaginer des passages qu'il ne prendra pas la peine de décrire !

(Septembre 2007)

Kenji Miyazawa (Japon, 1896 - 1933)

Les Fruits du Gingko

(Motifs, 2006, 208 pages)


Ce recueil réunit onze nouvelles : Les Lys de Gadolf, Le jeune Echo, Les trois diplômés de l'Ecole du Blaireau, Les Enfants-fruits du gingko, La Biographie de Nénémou Pène-nène-nène-nène-nène, Histoire de farfadets, L'Office des chats, Tanéli avait l'impression d'avoir mâché toute la journée, La Fourrure du rat-des-neiges, Yomata le lys merveilleux, Le Dragon et le poète.


Les seuls titres de ces nouvelles sont irrésistibles : on souhaite d'emblée découvrir de quoi il s'agit. Une fois plongé dans la lecture de ce livre, on se retrouve face à une écriture et des histoires déroutantes. Mêlant les registres burlesque, poétique ou mystique, Miyazawa met en scène hommes, animaux, végétaux et êtres célestes.

Son écriture est d'une grande richesse. Les couleurs, les formes, les sensations envahissent notre imagination. Une certaine beauté se dégage de ces textes ; cette beauté qui nécessite une réelle capacité de contemplation. On reconnaît cette qualité chez cet auteur lorsqu'il nous parle des étoiles, des arbres, des rivières, des fleurs, de la rosée...

Quelle fraîcheur ! Un livre merveilleux qui offre à notre esprit un grand bol d'air frais.

(Mars 2007)

Éric-Emmanuel Schmitt

La Secte des égoïstes

(Le Livre de Poche, 1996, 128 pages)


C'est une lecture intéressante. L'écriture est agréable. On appréciera ou non l'humour de l'auteur. Personnellement, il m'a fait beaucoup rire dans sa description des chercheurs. On est intrigué par cette histoire, mais je n'irai pas jusqu'à dire que le narrateur m'emporte avec lui "dans des vertiges hallucinants" comme le fait espérer la quatrième de couverture.
Cependant, la fin du livre est assez surprenante, et il est intéressant de relire les premières pages avec un regard nouveau. Ce que j'ai le plus apprécié, c'est la description que fait l'auteur de la solitude humaine à travers le narrateur et le personnage du philosophe. Solitude qui parfois ne devient supportable que lorsqu'on sombre dans la folie.

(Mars 2007)

Simone de Beauvoir (1908 - 1986)

Une mort très douce (1964)

(Folio, 1972, 160 pages)


Un livre court d'où jaillissent des éléments essentiels à notre réflexion sur la maladie et la mort. Les thèmes de l'euthanasie et de l'acharnement thérapeutique sautent aux yeux. Mais il est aussi question du rapport au corps malade (le redéfinir ? mais comment ?), de la douleur, des relations soignant-soigné. Ces thèmes ne sont pas approfondis mais ont au moins le mérite d'être évoqués.
Bien sûr, c'est une histoire intime. Pourquoi s'intéresser à la souffrance et à la mort d'une vieille femme qui nous est inconnue ? Mais cette vieille femme, c'est ma mère, la vôtre, c'est nous. Car s'incarnent en elle la maladie et la mort ; ce qui nous concerne tous. Les personnages de ce livre, pourtant autobiographique, sont comme universels. Peut-être parce que l'auteur ne se contente pas de relater l'événement : elle s'interroge. On ne peut rester indifférent face à ce récit lorsqu'on a saisi cela.


"Penser contre soi est souvent fécond ; mais ma mère, c'est une autre histoire : elle a vécu contre elle-même."

"Souvent, quand les malades souffraient un long martyre, je m'étais indignée de l'inertie de leurs proches : "Moi, je le tuerais." A la première épreuve, j'avais flanché : j'avais renié ma propre morale, vaincue par la morale sociale."

"Car en effet, par comparaison, sa mort a été douce. "Ne me laissez pas livrée aux bêtes." Je pensais à tous ceux qui ne peuvent adresser cet appel à personne."

(Mars 2007)