mardi 21 décembre 2010


En 1759, au large des côtes chiliennes, navigue un navire nommé La Virginie, avec à son bord un des plus célèbres personnages de la littérature : Robinson. Une formidable tempête aura raison du costaud navire ainsi que de son équipage. Robinson, l’unique survivant, se retrouve échoué la tête dans le sable sur une île déserte. Entre les périodes d’exaltation et de dépression, Robinson occupe le quotidien comme il peut, mais il se rend bien compte qu’il tourne sur lui-même : quel sens peut-il donner à ce qu’il entreprend ? Plus tard, la solitude sera rompue par la présence de Vendredi. D’abord le serviteur de Robinson, Vendredi gagnera sa liberté par un acte de désobéissance ayant pour effet d’anéantir toutes les possessions de Robinson. Ramenés à égalité du point de vue des biens, les deux hommes peuvent laisser libre court à l’amitié.

Un livre remarquable où Michel Tournier traite avec une grande clarté de notions aussi complexes que la solitude, le sens de la vie, l’autre, l’amitié. Son discours est un alliage réussi de limpidité, d’intensité et de poésie. Il y a par exemple un excellent passage sur l’impossibilité de sourire dans la solitude. Parmi les différents objets que Robinson a pu récupérer sur le navire, il y a un miroir. Un jour, il a envie de revoir son visage, ressort l’objet, mais s’étonne bientôt de ne pas parvenir à se sourire à lui-même. Son visage reste figé dans une triste expression : parce qu’il était seul depuis si longtemps, Robinson ne savait plus sourire. Mais voici comment notre héros réapprend cette joyeuse grimace : « C’est alors que ses yeux s’abaissèrent vers Tenn. Robinson rêvait-il ? Le chien était en train de lui sourire ! D’un seul côté de sa gueule, sa lèvre noire se soulevait et découvrait une double rangée de crocs. En même temps, il inclinait drôlement la tête sur le côté, et ses yeux couleur de noisette se plissaient d’ironie. Robinson saisit à deux mains la grosse tête velue, et ses paupières se mouillèrent d’émotion, cependant qu’un tremblement imperceptible faisait bouger les commissures de ses lèvres. Tenn faisait toujours sa grimace, et Robinson le regardait passionnément pour réapprendre à sourire. » Le propos se fait d’autant plus beau que Vendredi se libère de l’emprise de Robinson et retrouve l’espace pour créer. En effet, on appréciera la poésie qui émane des inventions de Vendredi, notamment celles qui sont issues du fameux Andoar, roi des boucs : « Andoar va voler, Andoar va voler, répétait-il très excité, en refusant toujours de dévoiler ses projets. », « Andoar va chanter ! promit-il mystérieusement à Robinson qui le regardait faire. » Je n’en dévoilerai pas davantage que Vendredi ! Lisez, c’est tout à fait surprenant ! Enfin, un mot sur les fameux jeux de rôles auxquels se livrent les deux hommes, et qui témoignent encore de la richesse de ce récit. Cette activité proposée par Vendredi est adoptée par Robinson car il prend rapidement conscience de la portée thérapeutique de celle-ci. On rejoue les scènes traumatisantes du passé. Vendredi se fait le Robinson qu’il craignait lorsqu’il était son esclave, et Robinson prend le rôle du Vendredi de cette époque. Ce jeu finira par leur apporter à tous deux, à celui qui a vécu dans la peur et à celui qui a des remords sur sa conduite envers l’autre. Lisez, c’est tout à fait passionnant !

Vendredi ou la vie sauvage (1971) est une adaptation jeunesse de Michel Tournier inspirée de son premier roman Vendredi ou les limbes du Pacifique (1967).

Michel Tournier, Vendredi ou la vie sauvage, Folio Junior, 1987, 150 pages

jeudi 16 décembre 2010


Nassim, un adolescent iranien de 14 ans, perd ses parents au cours des émeutes qui ont précipité la chute du Shah. Les soldats tirent sur la foule désarmée, c’est un massacre. Le garçon se réfugie chez Nadira, une amie qui vit avec son père. Puis, le régime des mollahs s’instaure, aussi inquiétant que le précédent. Et bientôt, un grondement se fait entendre, il gravit les rues du quartier, ce sont des voix d’hommes qui clament, des cortèges menés par les mollahs : c’est la guerre, les chars irakiens ont franchi la frontière à Hostandjar, et le peuple iranien réclame des armes pour chasser Saddam. Mais avec quels moyens ? Les capitaux occidentaux n’affluent plus comme au temps du Shah. Et, après la Révolution, comme pour les professeurs, le corps des officiers fût épuré par les mollahs. Une espèce de guerre de 1914 qui s’éternise, une boucherie à laquelle l’Iran livrera ses enfants.

Cet enfant dans la guerre, c’est Nassim et ce regard lucide qu’il pose sur ces événements pour en extraire toute l’absurdité et l’horreur. L’essentiel de cette histoire tient certainement en cette démonstration de la manipulation qui est opérée auprès des enfants pour les attirer dans ce bourbier sanglant. Le manque de réaction des adultes qui les entourent, parents ou instituteurs, ne manque pas de surprendre. Un phénomène difficilement compréhensible aujourd’hui dans notre culture. Nassim est donc un personnage de fiction qui permet de s’interroger sur cet événement historique troublant, ces enfants martyrs.

Le professeur de français nous avait demandé de lire ce livre lorsque j’étais au collège, et je me souviens que j’avais eu beaucoup de difficultés à l’époque avec la violence de certains passages. Aujourd’hui, ce récit est mieux passé car j’ai le mental pour y faire face mais je le trouve toujours dur. Je pense que cette lecture jeunesse mérite d’être accompagnée par une présence adulte qui permette si besoin une réflexion sur certains passages, voire une prise de distance en cas de malaise face au propos.

Thierry Jonquet, Un enfant dans la guerre, Folio junior, 1995, 123 pages
 

jeudi 19 août 2010


« Le koala ne broncha pas. Je m’approchai donc de lui en glissant sur la branche. Qui céda. Branche, koala et moi-même tombâmes abruptement dans un épais tapis de fougère. »

La suite de cette aventure ? Pas aussi bénigne qu’on l’aurait imaginer de la part d’un animal qui fait figure de nounours mâchouillant pacifiquement des feuilles d’eucalyptus. On découvre l’une de ses techniques de défense les plus efficaces : la défense anti-dingo. Ce que le narrateur découvre également au moment des faits, bien malgré lui.

Les histoires du bush de Kenneth Cook révèlent une Australie méconnue, un territoire encore indompté, où mineurs d’opales farfelus et faune sauvage impitoyable évoluent de façon invraisemblable autour du narrateur. Chaque nouvelle nous entraîne dans une espèce de bouffée délirante et hilarante avant de se terminer sur une chute avisée. Dans ces aventures, Kenneth Cook se met en scène sous les traits d’un gros bonhomme d’âge moyen peu sportif au caractère naïf et craintif, mais dont la curiosité (écrivain oblige) et la générosité finissent toujours par surpasser la lâcheté. Un mélange détonant entre l’homme et les lieux conduisant irrémédiablement à ces situations rocambolesques.

On apprécie d’autant plus ces nouvelles, ponctuées d’humour caustique et d’autodérision, pour le style direct et dépouillé qui les rend si percutantes. De belles qualités pour une lecture à voix haute où les descriptions sont accueillies avec beaucoup de plaisir.

« J’y rencontrai Bert. D’une maigreur inimaginable, extrêmement velu, il approchait les deux mètres de haut. Ses pieds, ses bras, sa poitrine et son dos étaient nus et recouverts de fourrure rose. La couleur était due à l’encrassement poussiéreux, typique des mineurs d’opale. Avec ses dents jaunes qui avançaient, il était le portrait craché d’un grand furet à poil rose, dressé sur ses pattes arrière. »

Kenneth Cook, Le koala tueur et autres histoires du bush, Autrement Littératures, 2009, 155 pages
Traduit de l'anglais (Australie) et postfacé par Mireille Vignol


vendredi 25 juin 2010


Kaala Petites-Dents fait partie d’une portée interdite. Sa mère n’est pas la louve dominante de sa meute et, bien pire, son père est un étranger, ce qui est une impardonnable transgression aux règles de la vallée.

« − Se tenir aussi éloigné que possible des humains, cita Trevegg.
− Ne jamais tuer gratuitement un homme, continua Yllin.
− Sauvegarder la pureté de notre sang et s’accoupler seulement avec les loups de la vallée, acheva Rissa. Ces trois règles seraient transmises à chacun des loups venus au monde dans la vallée, et ceux qui ne les respecteraient pas seraient bannis ou mis à mort. Si une meute ne les appliquait pas, elle serait éliminée. Depuis lors, les Grands Loups sont nos gardiens et les garants de la promesse. »

C’est pourquoi Ruuqo, chef de la meute du Fleuve Tumultueux, décide de décimer cette portée de sang-mêlé. Lorsqu’il ne reste plus que la petite Kaala, celle-ci se défend avec l’énergie du désespoir, gronde et menace ce grand loup de ses dents minuscules. D’abord décontenancé, Ruuqo se reprend afin d’accomplir la triste tâche qui lui incombe en tant que loup dominant. C’est alors que Frandra et Jandru, deux Grands Loups, s’interposent et décident de faire une entorse au règlement pour laisser vivre cette petite louve dont la fourrure est marquée du signe de la lune. Mais les Grands Loups gardent de nombreux secrets et leur décision n’est pas comprise, ce qui vaudra à Kaala de survivre pour être méprisée de Ruuqo et soupçonnée d’être un louveteau maudit. Elle saura néanmoins trouver quelques alliés qui lui permettront de surmonter la mort de ses frères et sœurs, ainsi que le bannissement de sa mère. Cependant, Kaala n’a pas encore un an et se doit déjà d’affronter ces nombreuses questions qui se bousculent dans sa tête au sujet de son identité et surtout, cette attirance qu’elle a pour les humains. Un jour, elle sauve un petit d’homme de la noyade. Pour le meilleur ou pour le pire ?


Une histoire de loups donc, mais surtout l’histoire d’un lien particulier entre les hommes et les loups. Une attirance commune et irrésistible. Dorothy Hearst nous renvoie 14 000 ans avant notre ère pour illustrer de sa plume une théorie charmante mais controversée concernant les hommes et les loups, celle de la coévolution, terme signifiant l’évolution parallèle de deux espèces en étroite interaction. Le dictionnaire donne pour exemple celle des plantes à fleurs et des insectes qui en assurent la pollinisation. Ici, les loups, et plus tard les chiens, auraient participé à notre évolution. Les loups auraient notamment permis aux hommes de se sédentariser et de développer l’agriculture en chassant pour eux. Certains chercheurs, nous explique-t-on sur le site de l’éditeur, émettent même l’idée selon laquelle nous serions devenus l’espèce dominante en apprenant d’eux la chasse en groupe et l’édification de sociétés complexes. D’autres encore pensent que notre proximité avec les chiens aurait eu des conséquences sur le développement de notre cerveau.

Dorothy Hearst s’est certes beaucoup documentée et a de toute évidence trouvé dans cette théorie le filon idéal pour écrire sur les loups. Quant à la rigueur scientifique de ces théories, il n’en est pas question ici. Elles répondent à des interrogations sur l’histoire de l’humanité laissées en suspend et voilà bien tout ce qu’on leur demande à ce niveau. C’est après tout la liberté du romancier que d’y croire et de broder autour de ses fantasmes. Mais il faut savoir le prendre comme tel. Dorothy Hearst ne serait sûrement pas la première à avoir rêvé un lien féerique entre hommes et loups.

La Promesse des loups est donc un roman principalement tourné vers l’anthropomorphisme, ce que l’on retrouve habituellement dans la littérature jeunesse. Il ne s’agit pas ici d’un traité d’éthologie, l’auteur fait penser sa louve et ses congénères comme le font les hommes. J’ai trouvé beaucoup de similitudes entre la trame de cette histoire et celle de la série La Guerre des clans, de Erin Hunter, où l’auteur développe un monde empli de spiritualité pour ses personnages les chats sauvages. De plus, les deux héros ont en commun d’être de sang impur, de devoir se battre contre les injustices subies pour ce motif, tout en ayant pour tâche de sauver tout le monde ! Ils ont tous deux un signe particulier qui fait hésiter les dominants devant l’éventuelle réalisation d’une certaine prophétie. Alors là, on pense aussi au personnage de Harry Potter avec sa fameuse cicatrice ! Au-delà donc de l’anthropomorphisme, on remarque une constante dans ces différentes aventures : le héros, dès sa naissance, est soumis à rude épreuve, pour en plus être très vite et immanquablement informé que la survie de son monde repose sur ses frêles épaules ! Mais que font donc les adultes, nom d’un chien ! N’est-ce pas eux qui sont censés protéger les enfants des dangers de ce monde ? En tout cas, on développe dans ces histoires l’idée que c’est le petit sauveur et aussi ses jeunes amis qui doivent protéger les grands des forces du mal. Sans compter qu’il est toujours question d’une guerre inévitable ! Et l’on pense ainsi au Seigneur des anneaux, de Tolkien, et au brave Frodon qui peut être considéré comme un enfant puisque jeune homme inexpérimenté chez les hobbits. Porteur du lourd fardeau qu’est l’anneau qu’il lui faut détruire ainsi que l’emprise maléfique du terrible Sauron sur le monde. Pour Harry Potter, il s’agit de faire face au fort peu sympathique Voldemort. La demande qui est faite aux enfants dans ces histoires est carrément disproportionnée. On ne leur laisse même pas le temps de devenir adulte pour affronter un destin fait de solitude, de sacrifice et de douleur. Et sur ce sujet, je renvois au très instructif article Le Mal et l’enfant sauveur, d’Isabelle Smadja, paru dans Le Monde diplomatique de décembre 2002 et dans le Manière de voir de juin-juillet 2010.

Bref, entre nos fantasmes développés à partir de notre fascination pour le mystérieux loup et l'attente du messie, Dorothy Hearst n’a fait que foncer à toute allure sur un vaste boulevard pour atteindre un maximum de lecteurs.

Finalement, il ne s’agit pas de rejeter ce livre, loin de là ! C’est agréable à lire, c’est mignon tout plein avec des « petits loups » par-ci et des « petites dents » par-là, en somme une bonne distraction. Mais il me semblait tout de même intéressant d’aller renifler un peu plus loin, de faire des cercles de plus en plus précis avec la truffe pour singer les loups. Ne faut-il pas se poser des questions sur ce qui sous-tend ces ouvrages, les croyances et espérances sur lesquels ils reposent, lorsqu’ils sont diffusés à si grande échelle ? Quelles idées véhiculent-ils ? La question reste ouverte assurément !

Dorothy Hearst, La Promesse des loups, Les Chroniques du loup (Tome I), Albin Michel, 2008, 416 pages
 

vendredi 7 mai 2010


« Ses ruines, sous le ciel, mettraient plus de temps à disparaître que les os de ses derniers habitants à se dessécher au tombeau. »

Onze vieillards solitaires arpentent leur village sur des chemins indépendants. Jamais les onze ne se croisent pour respecter ce vœu de silence qui s’est imposé avec le temps et la désertion de la colline par leur descendance. Discrètement, ils veillent les uns sur les autres et s’entraident avec une rare efficacité par le biais d’un code de signaux et d’avertissements mis en place pour palier l’absence des mots. On suit ce manège avec d’autant plus de fascination que Pierre Jakez Hélias lui donne un aspect quasi mythique. On serait tenté de voir les onze tels les dieux de l’Olympe isolés dans des hauteurs inaccessibles au commun des mortels.

Mais voilà qu’on restaure la maison de feu Yann Strullu, le maréchal-ferrant ! Les onze, intrigués, rôdent autour du chantier. Que signifie donc tout ce remue ménage ? Il y a que le petit-fils du maréchal, le docteur K., veut s’installer dans la maison de son grand-père. Pourquoi ? Le petit-fils ne le sait pas vraiment lui-même. Cependant, il ne va pas tarder à découvrir l’ampleur de son héritage à travers les contes et légendes de ce mystérieux pays.

Pierre Jakez Hélias a magnifiquement bâti son récit. Une première partie où l’on s’étonne du troublant comportement des onze solitaires et où l’on assiste, après l’arrivée du petit-fils, à un drôle d’apprivoisement des uns par les autres. Une seconde partie offrant contes et légendes splendides, et durant laquelle on est certainement aussi déconcerté que le docteur lui-même. Enfin, une troisième partie où les liens se font et se défont, où comme dans une forêt après une terrible tempête la petite population secouée tente de se réinstaller confortablement ou s’exile si trop d’arbres sont tombés.

Hormis cette construction du récit qui nous emballe, on est enchanté par l’écriture tout en finesse et la richesse du texte. C’est dense et on se surprend à relire des passages entiers, non par manque de lisibilité mais pour savourer chaque détail qui, avec cet auteur, a son importance et n’est certainement pas cité pour gonfler le texte et masquer une trame pauvre. L’humour n’est pas en reste dans cette histoire ! Cela commence surtout avec les trois sœurs et une situation qui devient comique grâce au procédé de la répétition : « Chaque jour, la plupart des onze passaient un par un devant le chantier, chacun à son heure exacte, si bien que l’un ou l’autre ouvrier pouvait tirer sa montre et annoncer : nous allons voir apparaître la première des trois sœurs. A peine avait-il fini de parler que l’aînée se montrait, suivie de près par la seconde qui lui soufflait dans le cou, la plus jeune à vingt pas derrière, allez donc savoir pourquoi ! » Et nous d’imaginer cette scène plus épatante à mesure qu’on a l’occasion de l’observer ! On se régale encore de certaines expressions comme : « La nuit était noire comme dans un cul de chaudron.» (inséré dans un contexte inquiétant, une ambiance de cimetière, on est totalement pris au dépourvu), « On était à peine entré en décembre que les journaux imprimèrent une nouvelle qui fit se frotter les yeux même à ceux qui ne savaient pas lire. » (là, j’adore, j’ai ri jusqu’à ce que je découvre moi-même la nouvelle et que je fus aussi décontenancée que le narrateur). Mais il y a aussi toutes ces petites remarques que l’on retrouve habituellement à l’oral : « Edouard Bolzer était son nom, mais on l’appelait Ed le Joufflu, a-t-on besoin de vous dire pourquoi ! » Un texte savoureux, pour sûr !

La toute fin du livre est éblouissante ! Pris dans un curieux mélange d’appréhension, de surprise et de satisfaction, le lecteur y sera difficilement indifférent.

J’ai adoré ce livre qui nous maintient en lévitation entre ciel et terre, ou plutôt devrais-je dire entre terroir et magie !

Pierre Jakez Hélias, La Colline des solitudes, Julliard, 1984, 345 pages

mardi 27 avril 2010


Un clan de gitans échoue sur un potager abandonné, terrain vague incrusté de tessons de bouteilles et parcouru par les rats. La boue, misérable terre d’accueil, où se consume un feu nourri par la grand-mère Angéline de tout ce qui lui passe sous la main et seul confort pour affronter les rudes journées d’hiver malgré ses fumées toxiques. Le maire, lui, ne veut pas entendre parler des gitans mais aimerait les voir expulsés de sa ville pour qu’ils n’entachent pas les élections. L’assistante sociale vient flairer le terrain mais la grand-mère ne pipe mot et crache par terre. N’est-il pas possible de communiquer avec ces sauvages ? Pourtant, une bibliothécaire fréquente cette famille affranchie de toutes les conventions imposées par la société. Patiemment et avec délicatesse, elle veut faire entrer les livres dans leur vie car ils sont à ses yeux aussi précieux que le boire et le manger.
 
« Celui qui donne le respect reçoit le respect. »

La force de ce roman est de rendre la beauté à ce qu’on enlaidit de nos préjugés. Il met à nu cette petite communauté de gitans, expose sa relation avec cette gadjé qui lit des histoires aux enfants, pour mettre en avant l’essentiel, l’humanité, chose abstraite qui nous réunit tous autour du même feu. Le narrateur non identifié apporte davantage de poids à cette prise de vue ; en toute objectivité, ce qui nous sépare tient du détail et l’on se reconnaît rapidement l’un chez l’autre lorsque les barrières tombent et qu’on s’autorise à être attentif à celui qui nous semblait si menaçant. La curiosité, le besoin de rêver, l’envie de connaître et de comprendre sont aussi puissants chez les gitans que chez Esther la bibliothécaire. L’approche par les livres donne à cette entreprise de la puissance et du sens, car notre esprit se laisse volontiers apprivoiser par les histoires contenues dans les livres et c’est considérer l’autre comme son égal que de lui proposer d’accéder à ce qui lui permettra de grandir, de s’épanouir, s’il l’accepte.

« Il y avait un secret au cœur des mots. Il suffisait de lire pour entendre et voir, et l’on n’avait que du papier entre les mains. Il y avait dans les mots des images et des bruits, la place de nos peurs et de quoi nourrir nos cœurs. Elle ne s’arrêtait plus de lire. »

Dans ce texte, Alice Ferney use du discours indirect libre. Cela permet d’accéder plus facilement à la conscience des différents personnages, ce qui nous les rend plus proches et compréhensibles. Cela apporte aussi davantage de fluidité à la narration, on passe rapidement des pensées d’un personnage à celles d’un autre, on peut ainsi mieux confronter leurs points de vue et comprendre ce qui sous-tend leurs relations. Et il est particulièrement intéressant ici de mêler si étroitement les pensées d’Esther et celles d’Angéline !

« Esther referma le livre. Voilà, dit-elle, on a fini. Vous m’avez épuisée, je n’ai plus de voix. Elle regardait les enfants sortir du rêve, engourdis par sa lecture. Les ânes en vrai ça peut pas écrire, dit Hana d’une voix assurée. On sait pas, dit Mickaël. Anita dit : Est-ce que ça existe un âne qui pense comme Cadichon ? Elle attendait d’Esther une réponse. Les ânes n’écrivent pas, dit Esther, mais on ne sait pas ce qu’ils pensent, alors peut-être sont-ils plus malins qu’on ne le croit. Elle ouvrit la portière. Je suis en retard, dit-elle, filez vite. »

Un roman qui fait la part belle aux livres, leur capacité d’enchantement, mais aussi à la lecture à voix haute et sa force d’envoûtement des petits comme des grands. Un roman qui devrait enthousiasmer tous les amoureux des livres !

Alice Ferney, Grâce et dénuement, J'ai lu, 1997, 190 pages


Parce qu’il ne pouvait leur offrir à tous « des chocolats ou des tulipes », et pour ne pas faire de jaloux, l’auteur a écrit pour chacun des animaux un joli sonnet. Vous rétorquerez qu’il y a bien trop d’animaux pour pouvoir consacrer un joli poème à chacun ! Non, répond l’auteur, il en a produit 123 456, mais c’est la faute à l’éditeur si le doute est permis car celui-ci a refusé de tous les publier !

Des poèmes drôles et malicieux qui ont le pouvoir de réjouir petits et grands. De donner le goût de la poésie, certainement. La « lettre de l’auteur au hérisson » est une fantastique introduction à ce genre littéraire, et plus précisément ici au sonnet avec lequel l’auteur prend beaucoup de liberté. Cependant, un certain mécontentement s’est fait entendre à plusieurs niches à la ronde. En effet, à la fin du livre, est adressée à l’auteur une lettre de quatorze chiens en colère qui ne se sont pas vus représentés dans ce recueil, et là ça chauffe pour le « pöete » (terme qui, précise l’auteur, compte une syllabe et non deux) dont l’espièglerie est révélée au grand jour !


Mais voici encore un petit avant-goût de ce recueil surprenant :

« Poème du chat

Quand on est chat on n’est pas vache
On ne regarde pas passer les trains
En mâchant les pâquerettes avec entrain
On reste derrière ses moustaches
(Quand on est chat, on est chat)

Quand on est chat on n’est pas chien
On ne lèche pas les vilains moches
Parce qu’ils ont du sucre plein les poches
On ne brûle pas d’amour pour son prochain
(Quand on est chat, on n’est pas chien)

On passe l’hiver sur le radiateur
A se chauffer doucement la fourrure

Au printemps on monte sur les toits
Pour faire taire les sales oiseaux

On est celui qui s’en va tout seul
Et pour qui tous les chemins se valent
(Quand on est chat, on est chat) »

« L’âne entre les deux seaux d’avoine

Alors j’y vas ou j’y viens
Si j’y viens alors j’y vas pas
Et si j’y vas alors j’y viens pas
Mais si j’y viens alors j’y viens

Et si j’y vas alors j’y vas
Peut-être que si j’y vas et viens
Ou viens et vas peut-être bien
(peut-être) qu’alors ça ira

Autrefois d’abord j’y allais
D’abord, et ensuite, j’y venais
Mais maintenant je n’ose plus

J’ai peur qu’un des seaux disparaisse
Et ça me jette dans la détresse
Alors je vas plus et je viens plus. »

Jacques Roubaud, Les Animaux de tout le monde, Seghers Jeunesse, 2004, 95 pages

samedi 13 mars 2010


« Psst ! Père Restrepo ! Et si cette histoire d’enfer n’était qu’un gros mensonge, on l’aurait tous dans le baba… » Ainsi réagit la petite Clara, alors âgée de dix ans, aux horreurs proférées durant la messe par le fanatique père Restrepo pour terrifier ses ouailles. Une scène hilarante qui met d’emblée au premier plan ce fabuleux personnage de Clara qui illumine le récit de son aura bienveillante. Mais Clara trouve son antithèse en la personne d’Esteban Trueba, qui deviendra son mari, lui-même pilier fondateur de l’histoire puisqu’il traverse du début à la fin, tel un furieux diable de Tasmanie, cette remarquable saga familiale. Un équilibre bien précaire face aux nombreuses embûches déposées par la vie sur le chemin de tout un chacun. Les colères cataclysmiques du patriarche Trueba n’auront de cesse de fragiliser le carcan familial, de semer terreur, tristesse et solitude. Et ses dérapages de retentir bien des années après, sur sa descendance. Mais c’est aussi à travers ce funeste personnage que se révèlent de beaux portraits de femmes courageuses et foncièrement optimistes, ainsi que le tableau de leur difficile condition. Jusqu’à ce qu’on atteigne la quatrième génération, celle d’Alba, où les mœurs se font plus libres et que la petite-fille ose tenir tête à ce grand-père qui aura mis quatre-vingt-dix longues années à s’adoucir.

A la même époque cependant se préparent de sombres événements qui plongeront le pays dans un enfer digne des descriptions les plus échevelées du père Restrepo. Le ton léger et fantasque du récit laisse alors place à une ambiance de plus en plus lourde et inquiétante, jusqu’à ce que l’irrémédiable ait lieu : un coup d’état militaire, et la tyrannie s’abat sur le Chili. Le pays n’est jamais nommé dans le livre mais il est évident qu’il s’agit ici de la prise du pouvoir par le général Pinochet en 1973, contrant le président socialiste démocratiquement élu en 1970, Salvador Allende. Dès lors, l’auteur nous plonge instamment dans la détresse de cette sombre période de l’histoire du Chili. Et on tremble pour Alba et ce grand-père qui n’a plus les moyens de protéger sa petite-fille.

Isabel Allende nous livre donc une saga familiale sous forme de conte, avec des personnages tout à fait étonnants, des situations rocambolesques, un conte du XXe siècle évoquant ce que notre époque a révélé de plus monstrueux, cette bête tapie dans l’ombre qui tétanise même l’adulte le plus aguerri.

Enfin, j’ai beaucoup aimé l’idée des cahiers de notes sur la vie tenus par Clara durant cinquante ans, une alternative pour déjouer autant que possible les faiblesses de la mémoire et la complexité des nœuds qui se forment tout au long de l’histoire familiale, nous laissant souvent impuissant devant la répétition de traumatismes antérieurs.

Isabel Allende, La Maison aux esprits, Le Livre de Poche, 1984, 600 pages


« Tout le monde s’inclina vers le Patron qui souriait ; et Duroy, gris de triomphe, but d’un trait. Il aurait vidé de même une barrique entière, lui semblait-il ; il aurait mangé un bœuf, étranglé un lion. Il se sentait dans les membres une vigueur surhumaine, dans l’esprit une résolution invincible et une espérance infinie. »

Georges Duroy, sans le sou, arpente les rues de Paris, indécis sur la façon d’occuper cette chaude soirée d’été. Son petit salaire de fonctionnaire lui rend chaque fin de mois difficile et il peste contre ces gens attablés aux terrasses des cafés qui peuvent se payer le luxe de se désaltérer. Il se dandine avec grâce, fier comme un paon, mais envieux et furieux, puis bouscule des passants qui lui crient : « En voilà un animal ! » C’est alors qu’il croise un ancien camarade de régiment qu’il n’a pas revu depuis plusieurs années. Celui-ci lui proposera de devenir journaliste à La Vie française en même temps qu’il lui fera une première leçon d’arrivisme.

L’entrée de Georges Duroy dans la vie mondaine est éclatante et son ascension fulgurante. Il découvre très vite son plus précieux atout et n’hésitera pas à en user pour assouvir son ambition. Son surnom de Bel-Ami évoque incontestablement son succès auprès des femmes. Et c’est avant tout par la stratégie amoureuse que Georges Duroy avance sans entrave sur l’échiquier de cette société parisienne de la fin du XIXe siècle.
Maupassant fait donc de son héros une figure de l’arrivisme et donne à ce roman un rythme effréné répondant à l’urgence d’assouvir l’ambition. Le lecteur se retrouve embarqué dans une frénésie de réussites sans temps morts et sans faux pas qui fait de Bel-Ami une illustration du roman de formation.
Le roman évolue sur fond de politique coloniale et c’est par le procédé de l’ironie que Maupassant choisit de condamner les pratiques françaises dans ce domaine. Il s’attèle également à dépeindre les liens étroits qui unissent le capitalisme, la politique et la presse. Un système encore d’actualité, les journaux appartenant pour la plupart à de grands groupes financiers qui peuvent par ce biais influer sur le monde politique. Mais Maupassant s’attaque surtout au métier de journaliste, de manière frontale, donnant à voir une salle de rédaction à l’ambiance cynique, offrant sous un jour unilatéralement négatif une vision d’une profession qu’il a lui-même longtemps exercé. L’écriture se fait alors particulièrement incisive et frappe juste en peu de coups. Mais elle sait aussi se faire imagée et percutante de beauté, dans les descriptions de paysages notamment, ou encore terrifiante s’agissant des scènes d’angoisses que maîtrise si bien Guy de Maupassant.
Enfin, il est intéressant de noter l’évolution qui se fait autour de ce surnom de Bel-Ami. Il correspond au départ au côté séducteur et aimable du personnage et n’est employé que par sa maîtresse et la fille de celle-ci qui est d’ailleurs à l’origine de ce baptême. Puis, le surnom sera adopté par toutes les femmes qui entourent le héros et enfin, jusqu’à Monsieur Walter lui-même, directeur de La Vie française. Mais on assiste, parallèlement, à une évolution dans le comportement de Bel-Ami qui se montre de plus en plus odieux et perfide. Car Bel-Ami obsédé par la conquête du pouvoir et de la reconnaissance qui l’accompagne se soucie peu des marches qu’il emprunte pour y parvenir. Le surnom finit donc par retentir comme une terrible plaisanterie, car on cherche en vain ce qu’il reste d’aimable chez cet individu sans scrupules.

Un roman qui enchante assurément par son harmonie entre l’ascension du héros et la dynamique du texte !

Guy de Maupassant, Bel-Ami, GF Flammarion, 2008, 432 pages

jeudi 11 février 2010


« Si le poisson concrétise le mouvement de l’eau, lui donne forme, alors le chat est un diagramme d’air subtil. »¹

Dans ce court récit, Doris Lessing nous dévoile son expérience des chats, créatures sublimes et mystérieuses, en des termes emprunts de fascination, de délicatesse et de lucidité.

L’auteur, ayant vécu avec ses parents dans une ferme du Zimbabwe, nous entraîne dans la brousse où chats domestiques et chats sauvages sont régulés pour les uns, chassés pour les autres. On comprend que le chat domestique d’Afrique soit bien plus indépendant que le chat londonien, car loin du confort sécurisant et de l’attention toute particulière dont bénéficie ce dernier. Dans la brousse, rapaces et serpents n’hésitent pas à s’attaquer aux petits félins : « Je me rappelle ma mère, quand ce petit chat tout miaulant fut emporté dans les serres de l’aigle, qui tira toutes ses cartouches sur la bête de proie. En vain, bien sûr. »² La mère de Doris Lessing à qui revient les tâches ingrates d’achever les animaux malades, noyer les petits chats, chasser les prédateurs de la ferme, réguler et sécuriser la ferme familiale en somme, et qui se révoltera en refusant durant une année d’accomplir ce qui semble mettre sa conscience à rude épreuve. Contestation aux conséquences désastreuses mais parlantes.

Puis, Doris Lessing part vivre à Londres, habite divers maisons et appartements plus ou moins adaptés à la présence de chats. Elle en croisera plusieurs mais ne s’attache pas cependant. Le mécanisme de protection dressé lorsqu’elle avait onze ans reste infaillible.
Elle finit par s’installer à l’endroit idéal : « Je vins habiter en pays de chats. Les maisons y sont anciennes, et complétées d’étroits jardins ceints de murs. Des fenêtres qui donnent sur l’arrière, on peut voir une dizaine de murs d’un côté, et une dizaine de l’autre, de toutes les tailles et toutes les hauteurs. Des arbres, de l’herbe, des buissons. C’est un petit théâtre, avec des toits de diverses hauteurs. Les chats s’y plaisent beaucoup. On en voit toujours sur les murs, sur les toits, dans les jardins, menant une existence secrète et compliquée à la manière des vies de quartier des enfants, qui se déroulent suivant d’inimaginables lois internes que les adultes ne devinent jamais. »³

C’est alors que la chatte grise entre en scène : « Quel enchantement, ce délicat personnage de conte de fées, dont les gènes siamois apparaissent dans le contour de la tête, les oreilles, la queue, et la ligne subtile du corps. »⁴ La petite créature fait tomber les barrières et charme l’écrivain qui n’aura de cesse d’observer – et d’admirer – avec beaucoup d’attention et de curiosité les faits et gestes de la chatte grise guidée par son désir de séduction.
Vient ensuite la chatte noire qui déstabilise l’univers de la grise. Et c’est ce dont nous fait part l’auteur dans la majeure partie de son récit : l’histoire de deux chattes ennemies.

Leurs rapports, d’une complexité étonnante, sont analysés avec une extrême finesse. Peut-on aller jusqu’à dire que l’auteur excelle dans la psychologie des chats ? Elle s’interroge en tout cas sur leur rivalité, leur rapport aux autres chats, aux humains qui les entourent pour mieux décrypter leurs messages parfois composés de saucisses volées. Comportement influencé par leur étroite cohabitation avec l’homme ou comportement inspiré par une hérédité ancestrale ? A travers ses réflexions, l’auteur dévoile ainsi tout ce que l’univers des chats a de plus captivant.

Ce tableau de deux caractères définitivement inconciliables est ponctué d’envoûtantes descriptions de leur profil divin. La chatte grise lumineuse : « C’était assise sur le lit devant la fenêtre qu’elle révélait le mieux sa splendeur. Ses deux pattes avant de couleur crème très légèrement rayée se tenaient bien droites l’une contre l’autre, posées sur leurs chaussons à reflets d’argent. Ses oreilles délicatement bordées de blanc éclatant se dressaient et frémissaient, à l’affût des sons, des sensations. »⁵ Et la chatte noire d’une beauté ténébreuse : « Chatte des ombres ! Chatte plutonique ! Chatte d’alchimiste ! Chatte de minuit ! »⁶ Doris Lessing sublime ainsi son récit de portraits, comme exécutés à l’encre de chine, aux lignes subtiles et limpides révélant la quintessence de ses modèles.

Et si il fallait encore démontrer sa passion des chats, nous pourrions évoquer ces procédés stylistiques d’énumération et de répétition qui décuplent la tendresse qui déborde déjà du propos de l’écrivain, et qui renvoient peut-être aussi à une certaine malice dans le regard qu’elle porte sur ces animaux qui savent si bien nous faire rire : « Quand les chatons atteignirent l’âge de pouvoir descendre dans la cour, ils vinrent s’asseoir sur la marche, un, deux, trois, quatre, représentant toutes les variations du noir et blanc, et ils contemplèrent d’un œil craintif le gros chat noir qui les guettait. »⁷, « Je descendis vers l’aube pour boire un verre d’eau, allumai la lumière, et vis la chatte allongée par terre, qui nourrissait ses petits, un, deux, trois, quatre ; à un mètre de là, une souris immobile manifestait que la lumière la dérangeait – mais pas la chatte. »⁸, « La petite chatte descendit l’escalier en sautillant, car chaque marche était deux fois plus haute qu’elle : d’abord les pattes de devant, et puis hop, celles de derrière ; celles de devant, et puis hop, celles de derrière. »⁹

Une délicieuse lecture et un somptueux texte sur les chats. Colette n’est certes pas loin, on pense notamment à son livre La Chatte, mais j’ai préféré Les Chats en particulier.

¹ Éditions Le Livre de Poche, 1986, p.51
² Idem, p.9
³ Idem, p.32
⁴ Idem, p.35
⁵ Idem, p.51
⁶ Idem, p.124
⁷ Idem, p.25
⁸ Idem, p.26
⁹ Idem, p.36


Doris Lessing, Les Chats en particulier, Le Livre de Poche, 1986, 124 pages
Traduit de l'anglais par Marianne Véron
 

lundi 8 février 2010


A six ans d’intervalle, les disparitions de deux pensionnaires créent des émules au sein d’un collège religieux de Barcelone. Le commissaire Flores, aux méthodes plus que douteuses, accompagné d’une nonne, propose à un délinquant psychotique de résoudre cette mystérieuse affaire en échange de sa liberté.

Le Mystère de la crypte ensorcelée est un pastiche de roman policier très réussi. L’enquête, quelque peu fantaisiste mais corsée, pousse le héros à dévoiler toutes ses capacités, employant des méthodes loufoques mais ingénieuses, pour parvenir à sa résolution. Le langage soutenu du psychotique associé à des propos saugrenus permet également à Mendoza de maintenir son lecteur dans une atmosphère comique tout au long du récit.

L’humour de Mendoza n’est pas sans révéler un regard critique porté sur l’Espagne postfranquiste, les diverses institutions du pays étant traitées avec une ironie certaine. Ici, ce sont surtout l’hypocrisie et la corruption des instances religieuses et des autorités qui sont dénoncées par l’auteur. Et puis, il y a ce côté cynique qui transparaît à travers ce que nous donne à voir Mendoza de ses semblables. Le choix d’un héros psychotique ne se justifie pas par le simple fait de vouloir amuser la galerie. Ce protagoniste farfelu à souhait est avant tout un être fragilisé, qui dépend d’un traitement psychiatrique et peut être aisément manipulé par un policier véreux par exemple. Il est à plusieurs reprises révélé sous son angle le plus vulnérable et les démonstrations de mépris à son égard sont nombreuses, notamment lorsque le commissaire Flores lui annonce pourquoi il a été choisi pour résoudre l’affaire : « Nous avons besoin pour cela d’une personne qui connaisse les ambiances les moins reluisantes de notre société, une personne dont le nom puisse être éclaboussé sans préjudice pour nulle autre, capable d’effectuer le travail à notre place et de laquelle, le moment venu, nous puissions nous débarrasser sans encombre. » Bref, un choix de personnage judicieux pour dénoncer les abus de la sorte !

Mendoza apparaît donc comme un observateur sensible et lucide de la comédie humaine avant tout, retranscrivant ses sombres observations avec une plume drôle, certes, mais féroce et sans concessions.

Une belle découverte !

Eduardo Mendoza, Le Mystère de la crypte ensorcelée, Points, 1998, 192 pages
Traduit de l'espagnol par Anabel Herbout et Edgardo Cozarinsky

samedi 6 février 2010


Analyse d'une lecture abandonnée.

J'ai tout de même poussé le masochisme jusqu'aux trois quarts de ce livre. Attirée par un sujet qui me tient particulièrement à cœur, j'aurais dû me méfier davantage de la quatrième de couverture qui claironnait : « Une comédie à l'anglaise, tendre et humaine, pour en finir avec la crise ! ».

Dans Six pieds sous terre, Ray French met en scène Aidan Walsh, un homme ordinaire qui, apprenant qu'il sera bientôt licencié pour cause de délocalisation, décide de s'enterrer vivant au fond de son jardin pour mettre le patron de l'entreprise Sunny Jim Electronics au pied du mur.

« Dernier élément d'une espèce menacée : un employé qui croyait avoir des droits ! »

Certes, l'idée de mettre en avant la révolte d'un ouvrier non qualifié contre une multinationale tentaculaire avait de grandes chances de plaire au vu de l'actualité sociale. Démagogie quand tu nous tiens ! En ce sens, le discours est on ne peut plus simplifié, pour une adhésion optimum, on a un méchant et un gentil, ça ne demande pas trop de réflexion et en plus c'est rigolo. L'humour du livre lui-même ne demande d'ailleurs pas trop d'effort car on peut le résumer au style « pipi-caca-prout ». Que penser ?

Le contexte est à peine ébauché, comme si la condition ouvrière était une évidence pour tout le monde. La psychologie des personnages est survolée comme si au fond il n'y avait pas grand chose à en dire. Les dialogues sont d'une platitude sidérante. L'auteur ne cesse de s'enliser dans les clichés attachés au milieu prolétaire. Alors ?

Au bout de 262 pages, je me suis rendue à l'évidence : Monsieur French n'a aucun talent pour développer des idées, donner corps aux personnages, innover dans l'approche que l'on peut avoir du monde ouvrier, saupoudrer son récit d'un humour drôle et constructif.
Les éditions 10/18 devraient penser à offrir avec ce titre un enregistrement de rires, propre aux sitcoms, à écouter simultanément !
Bref, Monsieur French peut au moins être satisfait d'avoir produit un roman idéalement conçu pour être adapté au cinéma en une comédie dont on se réjouit d'avance !

Mais quelle image ce livre laisse-t-il donc des « prolos » ?

Six pieds sous terre aura manqué clairement et cruellement de profondeur et stagne, en ce qui me concerne, au ras des pâquerettes.

(Janvier 2010)

 Ray French, Six pieds sous terre, 10/18, 2009, 416 pages


Stéphane Audeguy


La Théorie des nuages

(Folio, 2007, 336 pages)


« De l'autre côté du bassin naturel, un être vivant le regarde. C'est un grand singe. […] [Il] se retient de sourire, parce qu'il croit se souvenir que, pour beaucoup d'espèces animales, cela revient à leur montrer les dents, et donc à les menacer. »


Virginie Latour, jeune bibliothécaire, est détachée de son poste afin de répondre à la demande d'un collectionneur japonais qui souhaite faire l'inventaire de sa collection de livres consacrés aux nuages.
Akira Kumo prend vite goût à la présence de la jeune femme à qui il raconte des histoires de chasseurs de nuages. Cela commence avec Luke Howard qui inventa pour ce phénomène atmosphérique une première nomenclature et contribua ainsi à la naissance de la météorologie.
Mais il s'agira ensuite d'accéder à la précieuse pièce manquante de la collection du japonais : le protocole Abercrombie. Un ouvrage qui réservera quelques surprises.


Inspirée par la tranquille navigation des nuages dans le bleu du ciel, l'histoire de ce roman ne décolle véritablement qu'à partir de la troisième partie du livre, c'est-à-dire la dernière, ce qui est tout de même regrettable.
Pour le reste, on s'ennuie un peu, et même ferme lorsque l'auteur tente d'accaparer le lecteur avec quelques scènes érotiques sans intérêt.
Les personnages ont peu de relief, leur histoire semble avoir été placé là juste pour donner un socle au thème des nuées. Cela dit, l'histoire d'Akira Kumo et le traitement du poids du souvenir qui en découle s'en démarque quelque peu. Mais le texte manque clairement de spontanéité, donnant l'impression pour certaines parties d'être un plat résultat romancé des recherches de l'auteur, agrémenté de quelques tournures à sa sauce.
Mis à part quelques descriptions colorées de paysages ou de phénomènes atmosphériques, ce roman m'est donc apparu grisâtre.
L'auteur a de plus la désagréable manie de répéter les dates et les lieux pour donner un effet d'importance aux événements, ce qui m'a particulièrement exaspérée.
Écrire un roman sur le thème de la météorologie était certes audacieux, mais cela a visiblement poussé l'auteur à broder de façon un peu maladroite.
Finalement, un petit traité sur les nuages m'aurait davantage comblée !

(Janvier 2010)

vendredi 5 février 2010


Carole Martinez

Le Cœur cousu

(Folio, 2009, 448 pages)


« Bombarder de couleurs le village étouffé par l'hiver. Broder à même la terre gelée des fleurs multicolores. Inonder le ciel vide d'oiseaux bigarrés. Barioler les maisons, rosir les joues olivâtres de la mère et ses lèvres tannées. Elle n'aurait jamais assez de fil, assez de vie, pour mener à bien un tel projet. »


Avec une prose aussi lumineuse et envoûtante que les ouvrages de son héroïne, Carole Martinez nous entraîne dans une troublante histoire de mères et de leurs filles. Héritage aliénant, capacité d'aimer qui s'effiloche, espoir réduit en poussière et dispersé au vent, la couturière Frasquita Carasco n'aura de cesse de tisser son malheur avec les merveilleux fils contenus dans cette boîte léguée par quelques forces obscures.

Avec son allure de conte, le récit se fait tantôt cocasse, tantôt cruel, se drapant des multiples visages de l'homme, et nous enveloppe de son intemporalité. Le Cœur cousu se fait somptueuse broderie narrative renfermant un joyau de lucidité qui nous dévoile la sphère humaine sous toutes ses coutures. Monstre sanguinaire, monstre collectif, la face sombre de l'homme s'illustre magistralement. Les comportements généreux, honnêtes et dévoués se font plus discrets, mais apportent un équilibre réconfortant et crucial à la survie de toute société. On apprendra surtout, mais sans surprise, que la différence ne fait pas bon vivre, surtout lorsqu'elle est un talent exceptionnel jalousé de tous.

Carole Martinez nous parle encore d'enfances brisées par manque de chaleur, d'adultes écorchés vifs, sombrant parfois dans la folie, par manque de repères affectives, de femmes résignées face aux murs sans cesse dressés sur leur chemin menant vers le bonheur, d'une boîte souveraine du destin de la lignée à qui elle appartient, d'une boîte symbole de l'histoire familiale. Faudra-t-il enfin qu'un seul être porte en lui toute la puissance du chagrin maternel pour briser le cercle maléfique, démontrer qu'il n'y a pas de fatalité ?

Soledad, Wahida, ton nom a-t-il été lu dans tes paumes ou dans le cœur même de celles qui t'ont baptisée ?


« Elle courut jusqu'au village sans se retourner.
Arrivée à la hauteur des premières maisons, elle croisa les yeux brillants de quelque diable déguisé en chat pour agacer le petit peuple des mulots et, pétrifiée, s'arrêta net. Le regard jaune pétillait entre terre et ciel, il la fixa quelques secondes, l'épingla sur le paysage nocturne comme un vulgaire papillon de nuit, puis les yeux fauves se détournèrent, la forme souple sauta de l'arbre où elle s'était perchée et disparut dans l'ombre. Frasquita reprit ses esprits, sans toutefois parvenir totalement à se convaincre qu'il ne s'agissait là que du chat de ses voisins, et elle recommença à courir. Haletante, elle poussa la petite porte de chez elle, traversa la salle à tâtons et se jeta sur son lit. »

(Novembre 2009)

Sherman Alexie (États-Unis)

Dix petits indiens

(10/18, 2009, 288 pages)


"C'est difficile de partager une salle de bains avec une Indienne et de continuer à l'idéaliser. Si le bruit se répandait qu'elle était une personne ordinaire, et même ennuyeuse, elle craignait de perdre son pouvoir et sa magie. Elle n'ignorait pas qu'un jour viendrait où les Blancs finiraient par comprendre que les Indiens étaient tout aussi incurablement ennuyeux et égoïstes qu'eux et qu'ils sentaient tout aussi mauvais qu'eux, ce qui serait un grand jour pour les droits de l'homme, mais un triste jour pour Corliss."


Tel une grand-mère indienne, Sherman Alexie nous conte les espérances et dérapages de dix vies. Dix personnages, liés à la tribu spokane et arrimés à la ville de Seattle, qui rêvent à s'intégrer pleinement. Chargé du poids du passé ou confronté au racisme, chacun avance comme il peut.

L'écriture de Sherman Alexie est chargée d'humour et de gravité. Parce que la gravité est certainement plus abordable par le rire. A moins que ça ne soit tout simplement parce que les Indiens sont doués pour le rire. Mais goûtez donc ces nouvelles, emplies de sensibilité, qui éclatent de rire par lucidité face à l'absurde des situations les plus injustes !

(Octobre 2009)

Jonathan Coe (Royaume-Uni)

La Maison du sommeil

(Folio, 2000, 480 pages)


Après avoir été une résidence universitaire, Ashdown, impressionnante propriété perchée sur une falaise des côtes anglaises, accueille désormais la clinique du sombre docteur Dudden qui traite des troubles du sommeil. Tels des fantômes en errance, certains visages reviennent rôder au sein d'Ashdown. Des vies se recroisent après douze ans d'éloignement et de métamorphoses inattendues.


Avec La Maison du sommeil, Jonathan Coe nous livre une atmosphère inquiétante mêlée d'ironie. Entre apitoiement sur le sort peu enviable des personnages et humour corrosif de l'auteur, le lecteur est chahuté. Parfois même, ce livre inspire une farce. En témoigne la fameuse mise en abîme introduite dans le chapitre 7 : "La maison du sommeil, écrit par un auteur, Franck King, dont elles n'avaient encore jamais entendu parler" -, agrémentée d'une savoureuse autodérision chapitre 14 : "Croyait-elle vraiment que ce récit d'horreur à quatre sous, qu'avec Véronica elle avait toujours considéré comme une vaste bouffonnerie, ait soudain acquis le mystérieux pouvoir de la blesser ?". Même lorsque l'auteur s'applique à donner une stature digne d'un sinistre château hanté à la propriété d'Ashdown, il provoque une situation cocasse en réécrivant mot pour mot la description de celle-ci à trente pages d'écart : une impression de déjà vu ?
De plus, les situations loufoques ne manquent pas dans ce récit, à noter le malentendu concernant le décès de la chatte de Robert, l'article aux notes de bas de page décalées paru dans Photogramme ou encore le colloque des psys qui est mémorable ! Et c'est par là que passe Jonathan Coe pour mener une critique acerbe de la société et s'engager politiquement, en se gaussant des absurdités qui peuvent être rencontrées même dans un secteur aussi sérieux que la psychiatrie, tout en dénonçant le tragique du manque de moyen qui en découle.

Une farce révélatrice de l'absurdité de l'existence. Car on rit beaucoup en lisant La Maison du sommeil mais avec une chape de plomb posée sur la tête. Car, finalement, le projet de scénario de Terry ne résume-t-il pas ces douze années passées sur les vies de Sarah, Gregory, Veronica, Robert et Terry lui-même : "Enchaînement brutal de plans de son visage à vingt ans, plein d'enthousiasme juvénile, et de plans de son visage à soixante-dix ans, creusé par l'amertume et le désenchantement. Une chronique vertigineuse, accélérée, de l'optimisme se ratatinant en désespoir." ?

(Juin 2009)

Didier van Cauwelaert

L'Éducation d'une fée

(Le Livre de Poche, 2002, 221 pages)


" Beaucoup de filles sont des fées qui s'ignorent ; elles ne savent pas qu'elles sont magiques. "


L'Éducation d'une fée expose le regard particulier que Nicolas Rockel pose sur la vie. Il a gardé une âme d'enfant et se comporte comme un prince charmant. Seulement voilà, on a beau être le monsieur le plus gentil du monde, la vie a toujours son mot à dire et il est rarement facile à entendre.


Ce livre est un catalogue de situations et d'actes qui se voudraient touchants et féeriques, mais qui perdent de leur magie par manque de profondeur. La façon dont le héros tente d'apprivoiser la mort aurait mérité plus ample développement, par exemple. Sans cela, l'idée reste au rang d'anecdote. Le héros qui devrait refléter la magie des autres, du rapport aux autres, ne fait que se révéler être le sauveur de quelques dames en détresse. Toutes les idées semblent reposer sur des croyances, des superstitions, une vue un peu trop naïve et simplifiée du monde comme il tourne. L'écriture est plate, sans charme. Les personnages semblent inaccessibles par leur manque de relief et le dénouement est un peu fade à mon goût. C'est une lecture confortable, distrayante mais dispensable.

(Juin 2009)

Sue Hubbell (États-Unis)

Une année à la campagne

(Folio, 1998, 272 pages)


" C'est pourquoi j'ai cessé de dormir à l'intérieur. Une maison est trop petite, trop limitée. Je veux le monde entier, et aussi les étoiles. "


Une année à la campagne se présente comme un journal de bord s'étalant sur les quatre saisons, chacune riche des anecdotes amusantes et étonnantes de la Dame aux Abeilles.
Instructif, réfléchi, drôle et tendre, le propos de Sue Hubbell est un émerveillement, une caresse sur nos vies bousculées, une issue pour les esprits étriqués. Observer le monde qui nous entoure, le savourer, le vivre, chercher à le comprendre avec humilité, savoir être patient face aux innombrables questions qui en émergent, accepter que certaines énigmes de la nature puissent rester telles, c'est ce que l'auteur nous apporte de plus précieux à travers ses observations quotidiennes.
Écrit avec sobriété, la richesse de ce récit n'en est que plus savoureuse et son message d'une clarté poignante. J'ai été littéralement enchantée par la capacité d'étonnement de Sue Hubbell, qui choisit de vivre les questions plutôt que de les affronter, ce qui permet un élargissement sidérant des perspectives de savoir et d'épanouissement !

(Juin 2009)

Delphine de Vigan

No et moi

(Le Livre de Poche, 2009, 256 pages)


"Les histoires entre les parents et les enfants, c'est toujours plus compliqué."


Lou, une adolescente surdouée, se lie d'amitié avec une jeune femme SDF et tente de bouleverser le cours des choses...

Ce livre aborde plusieurs sujets intéressants mais il ne faut surtout pas s'attendre à un traitement de fond. Sur la quatrième de couverture, une critique de Marie-Claire considère que c'est "l'art de dire des choses graves avec légèreté." En effet, quelle légèreté ! On a l'impression que l'auteur aborde des thèmes trop complexes pour elle, ce qui l'empêche donc de développer ses idées dont le contenu reste ici franchement au ras des pâquerettes. Est-ce parce que son héroïne n'a que treize ans qu'elle simplifie les choses à ce point ? Pourquoi écrire un livre dont l'héroïne est si jeune si cela oblige à rester toujours dans cette seule conclusion : "C'est compliqué." Réponse évasive bien connue que les parents donnent à leurs enfants parce qu'ils n'ont pas le courage de réfléchir avec eux. Cela m'a surtout fait sortir de mes gonds lorsque cette réponse revient en force au moment où est révélée l'étendue des dégâts de la relation que No a avec sa mère. C'est justement là qu'il y a des réponses ! Mais non, c'est compliqué, alors... L'auteur ne détient certes pas les clefs de la vérité mais devrait au moins avoir le courage d'avoir un avis et d'en faire part au lecteur, parce que c'est franchement trop facile de claquer cette réponse idiote.

C'était sans compter que le livre fait parfois penser à un prospectus publicitaire ! En voici quelques exemples :
1/ "je tomberais raide de ma petite hauteur, les Converse en éventail"
2/ "je pourrais prendre mon sac Eastpack et sortir sans un mot"
3/ "elle donne à No un Bounty et un paquet de petits Lu"
4/ "elles vont chez H&M le mercredi après-midi"
5/ "le tee-shirt que j'avais acheté chez Pimkie"
Dans quelques années, il faudra se munir d'un dictionnaire des marques pour lire Delphine de Vigan ! Car, à part dans l'exemple 2 dont la marque est précédé du nom de l'objet, on risque de ne pas comprendre de quoi il s'agit exactement.

Il y a même une devinette mais il faut avoir une excellente culture générale ! Je vous cite le passage, comme ça vous pourrez jouer aussi : "Mais ma mère est restée dans son silence et j'ai regardé la pub avec la fille qui met un déodorant magique et danse au milieu des gens, les flashes crépitent et elle tourne sur elle-même avec une robe à volants, j'avais envie de pleurer."
J'espère ne pas me tromper en disant qu'il s'agit du déodorant Narta. Mais étant donné que je n'ai plus la télé depuis 4 ans et que le livre a été publié en 2007, il est possible que je ne sois plus dans le coup et qu'il s'agisse d'un autre déodorant !

Que dire des tics de langage qui inondent le livre pour faire "djeun's", sinon que j'ai failli me flinguer pendant les premières pages tellement il y en avait et que cela m'empêchait de profiter un tant soit peu de l'histoire cachée dessous. Le livre fait 250 pages, j'ai compté les "et tout" pendant 100 pages : 22 fois la phrase se termine par ces termes. C'est consternant ! Nous avons des tics de langage lorsque nous parlons mais ils disparaissent souvent à l'écrit. Ben non, Delphine de Vigan elle les écrit quand même ! Pourquoi pas un ou deux dans les dialogues, mais quand l'héroïne pense ? Aucun intérêt !

Bref, vous l'aurez compris, je n'ai pas beaucoup apprécié ce livre plutôt creux, à l'écriture plate, aspergé d'une bonne dose de Narta tant certains sujets qui y sont abordés sentent mauvais et pourraient choquer le nez du lecteur sourcilleux du confort de sa conscience s'ils étaient traités avec plus de cran. Où est donc l'impertinence du discours qu'on lui octroie ? Caresser dans le sens du poil ou noyer le poisson me semble bien loin de l'impertinence. No et moi reste donc une histoire "mignonnette", sans plus.

Un petit passage apprécié, tout de même, pour la route : "Noël est un mensonge qui réunit les familles autour d'un arbre mort recouvert de lumières, un mensonge tissé de conversations insipides, enfoui sous des kilos de crème au beurre, un mensonge auquel personne ne croit." (Passage qui aurait plus d'impact dans une véritable réflexion sur la famille, vaste chantier.)

(Mai 2009)

Ray Bradbury (États-Unis)

Fahrenheit 451

Titre original : Fahrenheit 451 (1953), traduit de l'américain par Jacques Chambon et Henri Robillot
Édition : Denoël, Présence du Futur, 1995, 300 pages, avec dossier pédagogique



" Un volume lui atterrit dans les mains, presque docilement, comme un pigeon blanc, les ailes palpitantes. "


Guy Montag est pompier. Quel valeureux métier !
Guy Montag est pompier dans un monde où on ne gère pas les problèmes, on les brûle.
Et le plus gros souci des pompiers est de faire disparaître un objet de liberté capable de réveiller les consciences.
Dans un monde où observer la lune est un délit, ouvrir la bouche quand il pleut afin de goûter la pluie un acte de folie, réfléchir sur ses propres actes un crime de grande envergure, les esprits vifs et curieux s'exilent loin de la ville, errent le long des voies ferrées désertées et se font le support de leurs lectures, espérant un jour pouvoir à nouveau transmettre librement cette richesse.
Aidé de deux rencontres inattendues, Guy Montag se réveille d'un long sommeil somnambulique et devient un dangereux criminel.


Tout au long de cette lecture persiste un paradoxe. D'un côté, l'écriture tout en image de Bradbury nourrit abondamment notre imagination. D'un autre côté, il décrit un univers où règne un vide d'émotions et de créativité effrayant. Cette opposition recrée parfaitement le dilemme vécu par le personnage principal, Guy Montag, en pleine crise existentielle. En effet, l'écriture très visuelle de l'auteur évoque la prise de conscience de Montag, un sens de l'observation et un sens critique qui se développent, la naissance d'une vie spirituelle où l'imagination et la créativité ont leur place. S'y oppose à travers le décor dans lequel évolue Montag, sa réalité matérielle, le conditionnement subit par celui-ci (et ses contemporains) dont il est difficile de se démettre. Ainsi, la construction même du récit semble aller de concert avec le mouvement intérieur qui sévit chez le personnage principal.

Ce livre interroge des problèmes toujours d'actualité comme le conditionnement qu'opère nécessairement, mais à différents degrés, une société sur les individus. Ce qu'apporte mais aussi ce que prend le choix de penser par soi-même, de redéfinir sa place et toutes les responsabilités qui vont avec au sein de la communauté humaine. Le problème, surtout du point de vue culturel ici, du nivellement vers le bas, l'infantilisation de toute une population, l'offre et la demande qui s'entretiennent vers toujours plus de confort pour l'esprit, de docilité mentale.
Sur un thème plus spécifique, un passage m'a fait penser à l'addiction au lecteur mp3 : "Dix ans de pratique des radio-dés avaient fait d'elle une virtuose de la lecture sur les lèvres." Certains, perdus dans leur bulle musicale, en oublient de vous remercier lorsque vous leur rendez service. Quelques pages plus loin, il est écrit que "personne n'a plus le moindre instant à consacrer aux autres." Il semble en effet difficile d'être attentif à ceux qui nous entourent avec de tels comportements isolationnistes qui deviennent rapidement la norme. Ce qui nous renvoie à quelques pages plus tôt : "Après tout, on vit à l'époque du kleenex." L'époque du mouchoir en tissu qu'il fallait entretenir pour qu'il reste d'un contact agréable était-elle un peu plus courtoise ?

On peut remarquer un manque de précision chez les personnages secondaires, mais également dans le contexte, particularité déjà observée dans Les chroniques martiennes du même auteur. Et ceci laisse parfois un sentiment d'inachevé. Cependant, concernant le personnage de Mildred, compagne de Montag, il est possible qu'il reste flou pour mieux incarner ce vide d'émotions et de créativité que dénonce justement Bradbury. A travers Mildred, c'est toute cette société de zombis qui se révèle avec son indifférence crasse, sa fainéantise intellectuelle, son néant intérieur. Finalement, ici, n'est-ce pas ces gens qui semblent inachevés ? Des gens qui ne profitent pas pleinement de leurs facultés pour s'épanouir et prendre toute leur dimension d'homme ? Le vide s'estompe lorsque Montag tend vers le changement et quitte la ville : "Il s'arrêta pour respirer, et plus il respirait la terre, plus il en intériorisait les moindres détails. Il n'était plus vide. Il y avait ici largement de quoi le remplir. Il y en aurait toujours plus que largement."
De plus, le peu d'éléments dont nous disposons pour certains personnages ne nous empêchent aucunement de ressentir leur profonde détresse. C'est même d'autant plus poignant que cette détresse est finalement révélée, pour Mildred et le capitaine Beatty, dans des actes forts et inattendus.

Enfin, la scène avec la vieille femme qui choisit de brûler vive parmi ses livres plutôt que de les abandonner est certainement l'un des passages du livre les plus significatifs. L'écriture "minimaliste" et spontanée de Bradbury donne à cet instant une force étonnante, révélant toute l'ampleur dramatique vers laquelle court cette société tronquée. Écriture que l'on peut comparer à une peinture faite d'esquisses qui laisse toute la place à l'imagination de celui qui contemple le tableau. Un goût de l'implicite qui amplifie savamment le tragique du récit.

Il faut lire Fahrenheit 451 pour les questions essentielles qu'il soulève et le fabuleux style métaphorique et poétique de Bradbury.

(Mai 2009)

Pierre Jourde

La Littérature sans estomac

(Pocket, Agora, 2003, 416 pages)

Cet ouvrage a obtenu le prix de la Critique de l’Académie française 2002.


« La littérature est ardue, parfois. On peut tenter de s’en servir pour aller un peu plus haut que soi, un peu plus loin. Cela exige de se défaire de quelques certitudes. Tout cela est fatiguant, lent. »


L’essai de Pierre Jourde, qui semble renouer avec le genre du pamphlet, est dédié « à mon frère Bernard qui connaît la bagarre ». Dédicace qui n’est pas anodine car la critique se fait brutale à certains moments, mais l’humour en est si délectable qu’on s’en accommode.
Cependant, quant au genre à accorder à son livre, Pierre Jourde explique dans un entretien avec la revue Chronic’art : « Je ne suis même pas sûr, au final, que La Littérature sans estomac soit un pamphlet mais plutôt un ouvrage riche d'une dimension satirique. Je joue avec les textes et tente de démontrer qu'un mauvais texte a une très grande capacité comique. »
Cet essai n’est pas une analyse détaillée du fonctionnement du monde de l’édition. Jourde s’affaire à sa spécialité : le travail sur le style, le corps du texte. Comme il nous en avertit dans l’avant-propos, il s’agit surtout ici d’approfondir des lectures (car Pierre Jourde, lui, lit les livres qu’il critique). Les textes cités ayant en commun qu’ils pourraient figurer au rayon « littérature exigeante » ou « littérature inventive», car publiés par des maisons d’éditions prestigieuses, « censées sélectionner rigoureusement leurs auteurs et travailler pour la postérité ».

Le premier ballon de baudruche n’est autre que Philippe Sollers surnommé ici « le Combattant Majeur ». Encensé par Le Monde des livres (Sollers ayant trouvé une groupie en la personne de Josyane Savigneau), il est omniprésent dans les médias car considéré comme un spécialiste de tout.
Ce que Pierre Jourde reproche, entre autres choses, à Sollers est qu’« il utilise de vrais penseurs pour les édulcorer. Le cirque Sollers exploite les vieux artistes. Le Barnum de la littérature met un nez rouge à Rimbaud et Artaud. Parfois le numéro se laisse regarder. Parfois la bouffonnerie devient gênante. » Sollers semble faire parti de ces auteurs au style verbeux, moyen efficace pour camoufler le manque de matière à penser.

Ensuite, Jourde monte sur le ring face aux adversaires que sont l’écriture blanche (mélange de naturalisme et de romantisme dégradé) et l’écriture rouge (du drapé, de la posture, de la déclamation, charriant des morceaux de réalisme) : « L’une cherche à se singulariser dans une affectation de détachement, l’autre dans le cabotinage. Dans les deux, le désir de la singularité pour elle-même engendre le poncif. » Pour l’écriture blanche, on retrouve, entres autres, Marie Redonnet, Jean-Philippe Toussaint ou Emmanuelle Bernheim. Pour l’écriture rouge, entre autres : « C’est Toto qui écrit un roman : Frédéric Beigbeder » et son livre 99 F, « Marie Darrieussecq ou la colossale finesse » et son premier roman Truismes.
A propos de Marie Darrieussecq : « Truismes est une petite crotte desséchée, affectée de tous les tics de style contemporains. Ça se voudrait méchant, c’est très bête. Le sujet même est plein d’enseignement. Il est curieux d’observer, ces derniers temps, combien de jeunes femmes écrivains mettent en scène avec délectation l’humiliation de femmes idiotes. On dirait de la nostalgie. […] le caca et le vomi dont Marie Darrieussecq tartine ses pages, ce n’est pas du Sade ni du Louis-Combet. C’est juste triste, c’est du caca qui vient de la tête, péniblement excrété par un cerveau constipé. Partant, c’est tout bêtement, tout platement immonde ». Propos suivi d’un extrait de Truismes franchement répugnant et très mal écrit qui plus est. On peut alors remarquer, comme dans d’autres passages, que l’écriture du critique s’adapte à la cible, à son style. Effet comique garanti. Le passage concernant Frédéric Beigbeder est également très réussi, tout bonnement hilarant.

Ensuite, il traite de l’écriture écrue : « Ni tout à fait blanche (c’est une écriture des singularités, de la saveur spécifique des choses, des moments), ni tout à fait colorée (elle affecte la transparence et le naturel). Écrue comme les bons gros pulls tricotés qu’on met forcément pour aller cueillir des champignons ou allumer du feu dans la vieille cheminée. Petits objets du quotidien, gens de peu, prose poétique, effets stylistiques discrets mais repérables. L’écriture écrue, elle aussi, part du principe de l’authenticité. Elle fait accroire que son originalité tient à la modestie de ses objets. A l’ineffable qu’elle sait traquer dans une expérience microscopique. Éternel et absurde balancement entre le grand sujet et le petit sujet. L’écriture écrue n’est pas à louer ou à condamner pour ses objets, pour son minimalisme, mais comme folklore. » Elle concerne des auteurs comme Pierre Autin-Grenier, Eric Holder, François de Cornière ou Philippe Delerm. Jourde parle de textes « exigeant un effort de lecture minimal, et reposant entièrement sur la recherche de l’approbation sans discussion. » On peut aussi parler de lecture de confort, ce que j’avais ressenti en lisant La Première Gorgée de bière de Philippe Delerm. C’est sympathique mais finalement, on ne peut pas en dire grand-chose et plus tard, il n’en reste presque rien.

Un interlude est consacré à Michel Houellebecq, nommé ici « l’individu louche ». L’analyse est éclairante mais ne tranche pas sur la question.

Enfin, le critique s’enthousiasme pour des écrivains, qui ne sont pas des fabricants de livres, comme Valère Novarina, Eric Chevillard ou encore Jean-Pierre Richard. Mais attention, parce que là, la critique se fait ardue ; très certainement à la lumière d’œuvres complexes, riches d’inventivité, de cohérence et de force dans les idées.
Un très beau passage au sujet des possibilités qu’offrent la littérature : « Ce que l’on fait en écrivant prolonge aussi la trituration enfantine des choses, cette jouissance de les voir se construire, se briser, passer l’une dans l’autre. Il y a eu dans notre histoire cette primitive découverte : l’être n’est pas plus stable que les monstres en pâte à modeler. La littérature poursuit dans le monde fixe des adultes le cours des métamorphoses, des transformations et des bricolages. Le sens de la ductilité universelle, l’usage des mots comme fioles et cornues à travailler la pâte du monde, pour élaborer de minuscules merveilles qui se dissipent à l’instant, c’est tout cela qui séduit dans les récits poétiques Éric Chevillard. On y entre comme dans le laboratoire d’un savant de dessin animé, plein de formes et de couleurs étranges, sans prévoir ce qui sortira de ces circonvolutions. On ne s’émerveille pas sans se transformer soi-même. La merveille surgie de l’obscurité déploie en un clin d’œil d’autres manières d’être, de voir, de faire, et tout cela tient parfois en quatre mots, que la voix un peu exigeante, un peu tenue prolonge, soutient, fait résonner dans tout l’espace d’un récit, et qu’elle accorde à d’autres merveilles. »


Pour conclure, cet essai m’est apparu comme une véritable ouverture vers d’autres horizons littéraires. Pierre Jourde y fait le portrait d’une littérature exigeante au sens où elle innove, permet au lecteur de s’élever, de s’enrichir, de se transformer au gré de ses lectures et où le style tient une place essentielle.
Cet essai peut être considéré comme une honnête démarche car Pierre Jourde ne descend pas une certaine dimension de la littérature contemporaine sans ouvrir cette brèche sur une littérature digne d’intérêt, à découvrir et à valoriser. De plus, lui-même en tant qu’auteur de romans tend le flanc à la critique. Toujours dans l’entretien proposé par Chronic’art, Pierre Jourde confiait au sujet des réactions suscitées par son livre : « La Littérature sans estomac a ses défauts et je suis totalement ouvert à toutes les critiques qu'on serait amené à lui faire, mais que celles-ci soient justes. Je ne suis pas pamphlétaire, ni retranché dans le camp universitaire, mais écrivain. J'aimerais d'ailleurs beaucoup que l'on considère cet ouvrage sous cette optique. »


Chronic'art : lien vers l’entretien intitulé « Pierre Jourde, la critique avec des burnes », dont j’ai tiré quelques extraits.

Le Monde diplomatique - Octobre 2004 : « Vive la littérature rebelle ! », un avant goût de la critique telle que la pratique Jourde.

Le Monde diplomatique - Août 2008 : « La machine à abrutir », autre article de Pierre Jourde très éclairant sur la bêtise médiatique et sa principale conséquence, une démolition de la culture.

Causeur - Janvier 2009 : « La fatigue du critique », article où l’on apprend ce qui a suivi, durant six ans, la parution de La Littérature sans estomac. Pierre Jourde y explique la difficulté de tenter de nuancer le débat afin d’engendrer une réflexion sur les textes en tant qu’objets de la critique, dans un milieu où règne la connivence, l’uniformisation de la pensée. La peopolisation de la littérature ne laisse aucune place à la critique négative car ce phénomène dévie la cible véritable des critiques comme Pierre Jourde, à savoir les textes, pour la transférer sur les personnes, seul sujet attractif par définition dans ce cas. Pierre Jourde est déclaré « méchant », « aigri », « envieux » et d’autres qualificatifs de ce genre, ce qui indique que l’on se situe dans le domaine de la personne et non pas de l’objet produit qu’est le livre. Par conséquent, le travail de critique doit se faire si prudent qu’il ne peut déboucher que sur un commentaire positif, voire légèrement nuancé mais avec beaucoup d’allégeance. De ce fait, si le travail sur le texte est abandonné par les critiques littéraires en faveur d’éloges constantes sur la personne des auteurs, comment nous lecteurs pouvons-nous être éclairés quant à la qualité des textes dans cette incroyable étendue de publications qui nous est proposée ?
Début de l’article : « J’ai publié en 2002 La Littérature sans estomac pour réagir aux choix d’une certaine critique établie, qui accordait une importance démesurée à des livres à mon sens sans intérêt, alors que la littérature compte beaucoup d’auteurs passionnants que l’on ne mentionne pas assez. Il s’agissait aussi, tout simplement, de regarder de près les textes au lieu de parler d’autre chose, et de prendre plaisir à la pratique d’un genre littéraire assez peu fréquenté : la satire. »

(Mars 2009)

Stieg Larsson (Suède, 1954 - 2004)

Millénium 3 - La Reine dans le palais des courants d'air

(Actes Sud, 2007, 720 pages)


Troisième et dernier volet de la série Millénium, ce livre tient son lecteur par la barbichette, tout comme les précédents. Un rythme d’enquête effréné, une intrigue à plusieurs facettes, des développements maîtrisés donnant du relief à l’affaire, des personnages surprenants : une indéniable réussite dans le genre polar.

Cependant, avec ce troisième volet, on finit par se retrouver avec un groupe de gentils de plus en plus étoffé face au côté obscur ; c’est certainement trop beau pour faire réaliste. Tout le monde connaît une personne clef qui finit par se joindre à la ligue des gentils. Tous sont prêts à voir leur carrière et leur réputation mises en pièce par cette affaire louche à première vue. Tout repose sur l’honnêteté et la méthode Blomkvist. Blomkvist le Jedi. De plus, l’on comprend que l’État n’est en fait pas un méchant, seulement il est un peu lent à la détente, mais il tient fermement aux principes de la démocratie. Les droits du citoyen ne peuvent être bafoués que par un groupuscule de fous furieux couvert par quelques salopards corrompus au sein de la police de sûreté nationale. Mouais… Le gouvernement ne tenterait en aucun cas de marchander avec les journalistes pour étouffer une affaire de cette ampleur. Vive la constitution ! Mouais… Tout ceci semble un peu trop féerique… mais c’est une fiction me dira-t-on. Ou alors, tout ceci est bourré d’ironie ; c’était d’ailleurs la sensation que j’avais gardé du précédent tome. Donc, soit l’auteur a choisi la facilité pour clore l’affaire Salander, soit il exagère le tout pour mieux pointer du doigt les potentielles défaillances des démocraties. Mystère et boule de gomme !

Autre chose qui m’a chiffonnée : lorsque deux personnes qui ont tentés de se tuer, se retrouvent dans le même service d’hôpital, à deux portes l’une de l’autre, est-il plausible que leurs portes de chambres ne soient pas gardées par un quelconque service de sécurité ?!

Mis à part mes quelques hésitations, j’avoue avoir passé un excellent moment de lecture.

(Février 2009)