mardi 21 décembre 2010


En 1759, au large des côtes chiliennes, navigue un navire nommé La Virginie, avec à son bord un des plus célèbres personnages de la littérature : Robinson. Une formidable tempête aura raison du costaud navire ainsi que de son équipage. Robinson, l’unique survivant, se retrouve échoué la tête dans le sable sur une île déserte. Entre les périodes d’exaltation et de dépression, Robinson occupe le quotidien comme il peut, mais il se rend bien compte qu’il tourne sur lui-même : quel sens peut-il donner à ce qu’il entreprend ? Plus tard, la solitude sera rompue par la présence de Vendredi. D’abord le serviteur de Robinson, Vendredi gagnera sa liberté par un acte de désobéissance ayant pour effet d’anéantir toutes les possessions de Robinson. Ramenés à égalité du point de vue des biens, les deux hommes peuvent laisser libre court à l’amitié.

Un livre remarquable où Michel Tournier traite avec une grande clarté de notions aussi complexes que la solitude, le sens de la vie, l’autre, l’amitié. Son discours est un alliage réussi de limpidité, d’intensité et de poésie. Il y a par exemple un excellent passage sur l’impossibilité de sourire dans la solitude. Parmi les différents objets que Robinson a pu récupérer sur le navire, il y a un miroir. Un jour, il a envie de revoir son visage, ressort l’objet, mais s’étonne bientôt de ne pas parvenir à se sourire à lui-même. Son visage reste figé dans une triste expression : parce qu’il était seul depuis si longtemps, Robinson ne savait plus sourire. Mais voici comment notre héros réapprend cette joyeuse grimace : « C’est alors que ses yeux s’abaissèrent vers Tenn. Robinson rêvait-il ? Le chien était en train de lui sourire ! D’un seul côté de sa gueule, sa lèvre noire se soulevait et découvrait une double rangée de crocs. En même temps, il inclinait drôlement la tête sur le côté, et ses yeux couleur de noisette se plissaient d’ironie. Robinson saisit à deux mains la grosse tête velue, et ses paupières se mouillèrent d’émotion, cependant qu’un tremblement imperceptible faisait bouger les commissures de ses lèvres. Tenn faisait toujours sa grimace, et Robinson le regardait passionnément pour réapprendre à sourire. » Le propos se fait d’autant plus beau que Vendredi se libère de l’emprise de Robinson et retrouve l’espace pour créer. En effet, on appréciera la poésie qui émane des inventions de Vendredi, notamment celles qui sont issues du fameux Andoar, roi des boucs : « Andoar va voler, Andoar va voler, répétait-il très excité, en refusant toujours de dévoiler ses projets. », « Andoar va chanter ! promit-il mystérieusement à Robinson qui le regardait faire. » Je n’en dévoilerai pas davantage que Vendredi ! Lisez, c’est tout à fait surprenant ! Enfin, un mot sur les fameux jeux de rôles auxquels se livrent les deux hommes, et qui témoignent encore de la richesse de ce récit. Cette activité proposée par Vendredi est adoptée par Robinson car il prend rapidement conscience de la portée thérapeutique de celle-ci. On rejoue les scènes traumatisantes du passé. Vendredi se fait le Robinson qu’il craignait lorsqu’il était son esclave, et Robinson prend le rôle du Vendredi de cette époque. Ce jeu finira par leur apporter à tous deux, à celui qui a vécu dans la peur et à celui qui a des remords sur sa conduite envers l’autre. Lisez, c’est tout à fait passionnant !

Vendredi ou la vie sauvage (1971) est une adaptation jeunesse de Michel Tournier inspirée de son premier roman Vendredi ou les limbes du Pacifique (1967).

Michel Tournier, Vendredi ou la vie sauvage, Folio Junior, 1987, 150 pages

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