mercredi 29 juin 2011


Les bagnoles ne tombent pas du ciel, cinquième livre de Lucienne Cluytens, semble inaugurer une série ayant pour personnage principal le capitaine Flahaut. En effet, après avoir mené l’enquête autour d’un sombre médecin dans Lille-Québec aller simple, celui-ci accepte malgré sa suspension de six mois de jouer les détectives privés dans une affaire de meurtre. Un trio inattendu vient semer la zizanie dans une famille ultra catholique de Lambersart : un époux parfait, une femme possessive et une étudiante qui se prostitue pour payer ses études ; des ingrédients qui, une fois mêlés, font exploser la belle image renvoyée par cette famille de pharmaciens. Le mari connaissant si bien la chimie aurait-il pu se douter des dégâts potentiels ? Et c’est une simple phrase qui finit par mettre le feu aux poudres : « Les bagnoles ne tombent pas du ciel ». Accompagné de la jeune Valentine, résolue à innocenter le pharmacien, Marc Flahaut devra se passer des moyens de la police pour élucider cette triste affaire. Et sachez que le philosophe Michel Onfray n’y est pas pour rien dans cette histoire !

Dans ce nouvel opus, Lucienne Cluytens aborde le thème de la jalousie et met en évidence l’hypocrisie qui peut régner dans un milieu catholique hyper à cheval sur les principes, mais incapable d’accepter l’humain dans son imperfection, c’est-à-dire dans sa nature même. La plus grande erreur du mari aura certainement été de se remettre en question. Que vaut l’éducation que j’ai reçue ? Les valeurs qui m’ont été imposées ? Suis-je réellement en accord avec moi-même dans cette vie que je mène depuis cinquante ans ? Un raisonnement sain, mais qui ne trouve pas sa place dans cette famille prisonnière de ses croyances. Le pharmacien, considéré comme un dieu par son entourage, sera finalement rejeté lorsqu’on aura compris son imperfection.
Seule une jeune fille lui reste loyale, il l’avait prise sous son aile lorsqu’elle semblait destinée à suivre le même chemin de misère que ses irresponsables parents. On retrouve donc ces personnages à l’allure extrêmement familière, qui s’obstinent dans leur désir de justice et de vérité malgré une naïveté parfois contraignante.
Mais on a aussi affaire à des gens simples qui sèment l’horreur avec une telle inconscience que c’en est déconcertant, et on se rappelle alors Eva, le personnage de La Grosse, le premier livre de l’auteure. En effet, ici, le comportement de la mère de Valentine et de son amie « docteur es commérage » est décortiqué sans complaisance, dévoilant ainsi toute la mécanique de la médisance et les conséquences qu’elle peut entraîner. C’est un point fort de Lucienne Cluytens : elle traite avec lucidité et dans un style incisif des comportements que l’on peut retrouver chez tout un chacun et source de bien des malheurs. D’ailleurs, je me demande ce que donnerait un roman plus psychologique, dans la veine de La Grosse, avec l’expérience de l’écriture en plus maintenant.
En tout cas, pour ce qui est de ce polar, il est fait d’une intrigue classique et efficace. L’enquête file, sans temps morts, ponctuée de nombreux rebondissements, et on se retrouve rapidement à la fin de ces 245 pages avec un sentiment de satisfaction, d’autant plus que le texte est bien huilé, structure du récit et dialogues sans écueils.

Lucienne Cluytens, Les bagnoles ne tombent pas du ciel, Ravet-Anceau, 2010, 245 pages

vendredi 24 juin 2011


Les encombrants est un recueil de sept nouvelles sur le thème de la vieillesse.

"Eliette et Léonard" : une vieille dame se réjouit de la venue de ses petits enfants et se démène pour les accueillir de la plus belle manière. Son compagnon, lucide, nous fait part de son avis sur l’événement, sans détour, et dans un langage très imagé.
"Une garde de nuit" : le portrait d’une auxiliaire de vie, hantée par la peur de vieillir, qui maltraite les pensionnaires de la maison de retraite qui l’emploie sans laisser de traces.
"Son père" : le regard tendre mais désemparé d’une femme sur son père qui change et s’éloigne à mesure qu’il vieillit.
"On n’a pas tous les jours cent ans…" : le récit d’une fête d’anniversaire en maison de retraite. Le député-maire ne raterait les cent ans de Madame Vivieux pour rien au monde, d’autant plus qu’une équipe télé est présente. « Comme dit Mme Prunier, de l’accueil : le centenaire, c’est vendeur. »
"Rose thé" : l’histoire d’un vieux monsieur qui, tel un chaton égaré, se perd dans un jardin de roses. Une attitude qui peut avoir de belles conséquences.
"Vic" : une relation houleuse entre un vieux grognon et son chien.
"Comment fait-elle ?" : une conversation tendue entre une mère et sa fille révélant à quel point il est difficile de trouver sa place face à l’autre.

La variété de tons de ce recueil en fait un véritable trésor de réflexion sur un sujet sensible de notre société : que faire des vieux ?

Le titre est assez évocateur : les encombrants sont nos proches qui vieillissent et nous volent de l’espace, du temps, de la vie. Alors, le plus souvent, on les case en maison de retraite. On les voit suffisamment pour se donner bonne conscience, mais assez peu pour rester un pied en dehors de cette sphère macabre. C’est qu’on attraperait la mort à trop y être attentif ! C’est en substance, le schéma mis en relief dans ce recueil : lâcheté, abandon, indifférence. Nous n’avons à offrir à nos anciens qu’hypocrisie. Mais, sans le savoir, c’est aussi nous-mêmes que l’on trahit. A-t-on l’illusion d’échapper soi-même à cette étape de la vie ? Notre hantise de la mort, issue d’une immaturité générale devant les questions existentielles, nous fait accepter un monde où la personne âgée n’est plus considérée comme une personne, mais comme une menace, un miroir maudit qui nous renvoie notre avenir terrible. « Vieillir est un trop long chemin. C’est une impasse. » -, lit-on dans la nouvelle Son père. Est-ce la vieillesse en elle-même qui est une impasse ou le jugement que l’on porte sur elle ? Au sein d’une société plus tolérante et moins frileuse, cette étape de la vie ne pourrait-elle compter ses petits bonheurs ?

Et c’est justement la magnifique nouvelle Rose thé qui nous inspire cette vision positive. Car ici, même les défaillances du corps et de l’esprit liées au grand âge ne désarment pas un homme de cœur : « J’ai vu le fils se rapprocher du père, d’un mouvement coulé, pour le rabattre, le forcer à reprendre la bonne direction, en douceur. Chien de berger qui ramène au troupeau la brebis qui s’échappe, sans mordre, d’un jappement léger. » L’attitude du vieux monsieur, s’égarant dans un jardin de roses, est loin de représenter une impasse, elle ouvre au contraire les portes à une relation nouvelle. L’écriture de Marie-Sabine Roger s’y fait plus douce, le récit avance à tâtons, semblant ne pas vouloir effrayer les protagonistes. Une délicatesse réjouissante !

Il y a donc beaucoup de choses dans ce petit recueil de nouvelles. Un sujet d’actualité, sensible, qui mériterait d’être plus souvent traité. Une palette d’histoires nuancée qui permet de mieux penser ce thème de la vieillesse. Une écriture souple, toujours au diapason avec la situation. Des textes travaillés : construction et chute parfaitement maîtrisées. Quelques surprises attendent d’ailleurs le lecteur, notamment sur l’identité de certains personnages. En somme, Les encombrants est un plaisir tant sur le plan de la réflexion que sur le plan littéraire.

Marie-Sabine Roger, Les encombrants, Actes Sud/Babel, 2007, 97 pages

lundi 20 juin 2011


4e de couverture : « Je m’appelle Nick Corey. Je suis le shérif d’un patelin habité par des soûlards, des fornicateurs, des incestueux, des feignasses et des salopiaux de tout acabit. Mon épouse me hait, ma maîtresse m’épuise et la seule femme que j’aime me snobe. Enfin, j’ai une vague idée que tous les coups de pied qui se distribuent dans ce bas monde, c’est mon postère qui les reçoit. Eh bien, les gars, ça va cesser. Je ne sais pas comment, mais cet enfer va cesser. »

Alors là, y’a un truc que je n’ai pas saisi ! Ou j’ai eu un grave moment d’inattention ou l’éditeur n’aurait pas dû mettre ce passage entre guillemets, car je ne l’ai pas remarqué au cours de ma lecture ! Bon, cela n’a rien de fondamental, mais j’ai été un peu perturbée.

Comme une amie lectrice (Philcabzi), j’ai tiqué sur le changement effectué pour la traduction du titre en français. Pop 1280 devient 1275 âmes. Alors j’ai répété plusieurs fois 1280 âmes et 1275 âmes, et je trouve que 1275 âmes sonne mieux. Ce pourrait-il que ce soit l’explication à cette étrangeté éditoriale ?

Mais revenons-en à notre cher Nick Corey, qui semble avoir tiré la chasse d’eau juste après y avoir laissé tomber sa conscience ! Car, certes, Nick Corey est un plouc exerçant le métier de shérif à Pottsville ( « qu’est à peu près aussi proche du trou de balle de la Création qu’on peut se le permettre, sans se faire mordre un doigt »), mais un plouc dangereux qui semble se prendre pour le bras droit du Seigneur, surtout lorsqu’il s’agit de sévir… mais quand ça l’arrange.
Dans cette histoire, on passe progressivement de la consternation la plus totale à cette question : ne suis-je pas pris dans une vaste bouffonnerie ? Difficile de définir cet ouvrage qui ressemble à une apologie de l’abomination tout autant qu’à une grande farce. Ou alors, et c’est ce qui paraît le plus juste, l’auteur, connu pour sa vision pessimiste de l’humanité, transite par la plaisanterie pour mieux atteindre l’inavouable. De l’humour noir profond, de l’encre de pieuvre, et pris dans ses tentacules rieuses, le lecteur n’a plus d’autre choix que de constater ce qu’on préfère ne pas voir en l’homme. C’est déjà une très belle performance d’écriture, mais Jim Thompson nous offre encore un personnage dont l’évolution est travaillée avec génie. Il y a une progression dans ce récit qui est tout simplement époustouflante, une réelle maîtrise de l’intrigue. Nick Corey est dévoilé lentement, comme avec délectation, et pour quoi ? C’est ce qui fait que ce livre est absolument génial !

1275 âmes n’est pas un roman policier comme les autres, et c’est tant mieux !


Voici deux extraits qui reflètent justement les deux extrêmes de ce livre :

De dessous mon lit, je tire une canne à pêche toute montée, après quoi je sors dans le vestibule, j’appelle Myra et je lui demande si elle pourrait pas me préparer un casse-croûte vu que je vais à la pêche. Je vous fais grâce de ce qu’elle me répond. Je m’en vais donc.
Comme il est près de neuf heures du soir, il n’y a plus grand monde dans la rue, mais ceux qui sont pas encore couchés me demandent tous si je vais à la pêche. Je leur réponds : « Quelle drôle d’idée ! Qu’est-ce qui a bien pu vous faire croire ça ? »
- Eh bé, c’est de vous voir avec une canne à pêche, pardi ! me fait l’un d’eux. Si vous allez pas à la pêche, à quoi ça vous servirait ?
- Ça ? Ah ! c’est pour me gratter les fesses avec. Des fois que je serais là-haut dans un arbre et que d’en bas j’aurais pas le bras assez long.
- Mais… mais dites un peu… (Il hésite, les sourcils froncés.) Ca n’a point de bon sens, votre affaire…
- C’est vous qui le dites ! Quasiment tout le monde fait pareil. Vous allez pas me raconter que vous n’avez jamais pris une à pêche pour vous gratter le cul, dans le cas où vous seriez en haut d’un arbre et que vous puissiez pas y arriver sans ! Ben, dites donc, vous me faites l’effet d’être drôlement empoté, vous !
C’est vrai, il avoue, lui aussi, il fait pareil. C’est même lui qu’à inventé le truc.
- Ce que je voulais dire, c’est la ligne et l’hameçon, y’en a pas besoin. C’est ça qu’à pas de sens, d’après moi.
- M’est avis que si ! Comment que je ferais pour remonter mes braies, autrement, après avoir fini de me gratter ? Sacré dié, pour ce qui d’être empoté, j’ai idée que vous ne craigniez personne, l’ami ! Si vous ouvrez pas l’œil, le monde va vous filer sous le nez sans même que vous vous en rendiez compte !
L’air tout honteux, il se dandine sur place sans savoir quoi répondre. Je le laisse là et je prends le chemin de la rivière. (p.169-170)

Je suis entré dans cette maison, dans celle-ci et dans des douzaines d’autres pareilles, peut-être plus de cent fois. Mais jamais auparavant je n’avais réalisé ce qu’elles sont. Pas des foyers, pas des endroits où les gens peuvent vivre, non. Exactement rien. Des planches de sapin assemblées autour du vide. Pas de tableaux, pas de livres – rien à regarder, rien pour s’occuper le cerveau. Que du vide, un vide qui, petit à petit, s’infiltre en moi.
Et, tout d’un coup, ce vide n’est pas seulement ici, il est partout, dans toutes les maisons. Et en même temps, il se remplit de bruit, de visions et de fureur, de toutes les choses affreuses et sinistres que ce vide a provoquées.
Les pauvres petites filles sans défense qui pleurent en voyant leur père se glisser dans leur lit. Les hommes qui battent leur femme et les femmes qui hurlent des supplications. Les gosses qui pissent au lit, d’angoisse et de peur, et leurs mères qui les punissent en les aspergeant de poivre rouge. Les visages hâves, hagards, ravagés par le ténia et le scorbut. La sous-alimentation, les dettes toujours plus fortes que le crédit. La hantise, comment on va manger, où on va dormir, comment on va couvrir nos pauvres culs tout nus. Le genre d’obsession qui fait que, quand on n’a rien d’autre dans la tête, mieux vaut être mort. Parce que c’est le vide des idées, quand on est déjà mort en dedans, et qu’on ne fait plus que répandre la saloperie, la terreur, les larmes, les cris, la torture, la faim et la honte de sa propre mort. De son propre vide. (p.235-236)

Jim Thompson, 1275 âmes, Folio policier, 1966, 260 pages
Traduit de l'américain par Marcel Duhamel

dimanche 19 juin 2011


Si on te dit que …

… les pingouins sont des manchots
… les araignées piquent
… les poux sautent sur la tête
… les requins sont dangereux
… les oiseaux nous font pipi dessus
… les pies sont voleuses
… les mouches sont sales
… les vampires n’existent pas
… les points des coccinelles indiquent leur âge
… les insectes sont attirés par la chaleur des lumières

Eh bien on te raconte n’importe quoi !


100 idées reçues sur les animaux et la nature sont défaites et illustrées avec humour par François Lasserre et Roland Garrigue. L’auteur présente une idée fausse, ou le plus souvent inexacte, puis insère une courte remarque rigolote avant de nous expliquer ce qu’il en est du point de vue scientifique. Le développement est succinct puisqu’il s’agit d’un album destiné aux enfants à partir de 7 ans. Mais franchement, en tant qu’adulte, j’avoue en avoir appris beaucoup. La réalité des choses est parfois plus surprenante encore ! Par exemple, concernant cette idée reçue selon laquelle les insectes seraient attirés par la chaleur des lumières, l’auteur nous dit que, pour les scientifiques, ces petites bestioles tournoient autour des lampadaires car elles croient que c’est la Lune ! Et il poursuit avec cette explication : « les insectes nocturnes se servent de la Lune et des étoiles pour s’orienter lors de leurs déplacements. Et lorsqu’ils se retrouvent le nez, ou plutôt les antennes, sur une lumière qu’ils croyaient très éloignée, ils sont déboussolés et tournent autour sans comprendre, jusqu’à en mourir. » Conclusion : « Des millions d’insectes disparaissent à cause de cela, et c’est pour cette raison qu’il est utile de ne pas laisser trop de lampes allumées la nuit. » Je trouve très intéressant ce rapport entre savoir et responsabilisation. En effet, une fois que nous savons ce qu’il en est réellement du fonctionnement de la nature, du comportement d’un animal, nous pouvons mieux comprendre l’impact de nos activités sur ceux-ci.

En somme, un album à mettre entre toutes les petites mains… et même les grandes paluches !


Allez, pour le plaisir, quelques idées reçues suivies de leurs fameuses remarques !

Les mouches sont sales !
Et pas celui qui dépose sa crotte n’importe où, peut-être ?

Les abeilles font du miel pour nous !
Et pour qui l’écureuil ramasse-t-il des noisettes ?

Les éléphants ont de la mémoire !
Alors que ma grand-mère…

Les serpents piquent avec leur langue !
Et tricotent avec leurs crochets ?

Les taupes sont myopes !
Y a-t-il seulement un opticien sous la terre ?

Les hérissons mangent des plantes et boivent du lait !
Et pourquoi pas du concombre à la crème ?

François Lasserre (texte) & Roland Garrigue (illustrations), Toutes les bêtises sur la nature que les grands racontent aux enfants, Delachaux et Niestlé Jeunesse, 2010, 128 pages