jeudi 2 mai 2013

« Une fois, quand Moumine était encore tout petit, son papa avait attrapé un gros rhume en plein été. Il avait refusé de boire du lait sucré aux oignons et il n’avait pas non plus voulu se mettre au lit. Il était resté assis dans la grande balançoire en se mouchant toutes les trois secondes et en disant que les cigares avaient un goût affreux. Toute la pelouse était pleine de ses mouchoirs. Maman Moumine les ramassait dans un petit panier qu’elle emportait. » Les symptômes persistaient. Papa Moumine désespéré de guérir un jour se résigna et alla se mettre au lit. Son humeur devenait de plus en plus maussade, d’autant plus que Papa Moumine n’avait jamais été malade de sa vie, il était très contrarié. Heureusement, Maman Moumine eut, comme à son habitude, une formidable idée, propice à enrayer les situations de crise : « Sais-tu que j’ai trouvé un grand cahier vide l’autre jour en faisant le ménage au grenier ? Et si tu nous écrivais un livre sur ta jeunesse ? » Nous découvrons alors sa petite enfance dans un orphelinat dirigé par une tantémule extrêmement rigide, loin de correspondre au caractère fantasque du petit troll. Celui-ci décide donc de fuguer pour prendre sa « destinée entre ses propres pattes ». S’ensuivent de nombreuses rencontres et des aventures plus surprenantes les unes que les autres.

Encore un très joli texte, ponctué de superbes illustrations en noir et blanc, sorti de l’imagination sans limites de Tove Jansson ! Les multiples personnages qui animent ce récit sont d’une étonnante variété, chacun possède un physique et un caractère tout particulier et tous arrivent à avoir des rapports sans violence. Même ceux qui paraissent méchants au premier abord finissent par être compris dans leur maladresse ou leur manque d’amour. Tel est le cas du coléreux Édouard le Dronte, immense par sa taille, qui écrase les autres sans le vouloir. Profondément attristé lorsqu’on le lui fait remarquer, Édouard se ruine en enterrements qu’il tient toujours à prendre en charge. Même la tantémule et ses jeux éducatifs finiront par trouver leur place dans ce monde merveilleux.

Nous sommes aussi enchantés par les inventions de Fredikson. Il y a même un croquis et une note explicative pour apprendre à fabriquer un moulin à eau. Mais, le plus épatent est ce qu’il fait de l’Orquemarine une fois accostés sur l’île du souverain farfelu : un bateau qui vole et qui plonge dans les profondeurs de l’océan. Mon passage favori reste d’ailleurs celui de l’Océanochien, propre à déclencher la chair de poule : « Au milieu du prodigieux silence, je perçus peu à peu un chuchotement qui s’amplifiait, comme si mille voix épouvantées avaient répété le même mot, encore et encore : " L’Océanochien, l’Océanochien, l’Océanochien… " Cher lecteur, essaie donc de chuchoter l’Océanochien pendant un petit moment, très lentement et sur un ton d’avertissement. N’est-ce pas terrible à entendre ? »

Je rejoins tout à fait Ysla (Rats de biblio-net) dans son constat de bienveillance et de tolérance, d’acceptation de l’autre et de respect de la différence. C’est comme toujours, avec les aventures « mouminesques », une terrible envie de faire un voyage dans cette incroyable vallée pour s’y ressourcer en insouciance et en espoir. (Et ce n’est pas si étonnant au vu de ce qui est mentionné dans sa biographie sur Wikipédia : « Lors de la Seconde Guerre mondiale, pensant aux enfants qui rêvaient de s’évader, elle inventa le pays des Moumines. » En effet, le premier titre des aventures de Moumine, Une comète au pays de Moumine, date de 1945.) Même Papa Moumine qui est très fier et centré sur sa personne m’est un personnage agréable, car on le sent tout à fait inoffensif dans cet excès d’amour propre, il sait aussi reconnaître les qualités des autres, comme celles de son ingénieux ami Fredikson. L’effervescence qui régit cette histoire et l’humour de Tove Jansson font encore de ce récit un véritable revigorant pour l’esprit. On en sort incontestablement de bonne humeur !

La tantémule et Papa Moumine lorsqu'il était encore à l'orphelinat.

Papa Moumine découvrant le moulin à eau de Fredikson.
Édouard le Dronte et son gros derrière qui provoquent un barrage dans la rivière, donnant ainsi de l'élan à l'Orquemarine pour prendre la mer.
Et enfin, mon illustration préférée du livre : l'Orquemarine transformée en sous-marin !

Tove Jansson, Les mémoires de Papa Moumine, Nathan, 1982, 191 p.