jeudi 14 août 2014

Le narrateur, chercheur en biologie, est envoyé, bien malgré lui, en mission au Japon pour deux ans afin d'étudier « l'influence des roches magmatiques sur la végétation des forêts primaires ». Site d'étude : Aokigahara Jukai, la sombre « mer d'arbres » qui baigne le pied du mont Fuji, et dont une grande partie s'est développée sur la coulée de lave ayant enseveli la région lors de l'éruption de 864. Mais Aokigahara est une forêt toute particulière, bien connue des Japonais pour son aura sinistre. Elle est répertoriée dans l'Atlas des lieux maudits, d'Olivier Le Carrer, avec pour intitulé : « La forêt des suicides ». Le narrateur de Forêts noires découvre que cet espace dévore l'esprit des hommes, qui finissent par s'y enfoncer pour mettre fin à leurs jours. Installé dans un modeste bungalow au bord du lac Motosu-ko, il assiste au naufrage de son voisin Shintaro, « toute la journée assis sur la marche haute du perron, les épaules et les pieds en dedans, le regard errant du côté de la forêt, empli d'une sorte de crainte résignée. » Selon Olivier Le Carrer, les autorités locales évaluent les suicides à une centaine par an. Mais il est fort probable que ce chiffre soit sous-estimé compte tenu du terrain du site, et tous les corps ne sont pas retrouvés. La forêt n'est pourtant pas immense, atteignant trois mille hectares tout au plus, mais « les chemins sont rares, la lumière, ténue en raison de la densité de végétation, et le sol irrégulier, couvert d'une mousse épaisse dissimulant de profondes crevasses, rendent la progression difficile. On dit aussi que les boussoles deviennent folles, que les GPS n'y fonctionnent pas, et qu'aucune communication téléphonique ne passe sous les arbres. » Concernant la puissante attirance macabre pour ces lieux, il évoque un roman de Seicho Matsumoto, La Pagode des vagues, publié en 1960, non traduit en français, où il est laissé entendre qu'il s'agit de l'endroit idéal pour mourir en secret. Notre chercheur en biologie, dont le matériel d'analyse n'arrivera jamais, mène sa vie au rythme des saisons, en compagnie de Hatsue, une jeune veuve abandonnée par son mari pour la forêt maléfique. Mais il sent toujours plus le poids de cette luxuriance végétale sur son mental ; elle appelle ; le charme venimeux du Fuji-Yama, les rêves atroces, le regard abyssal de Shintaro.

L'installation du narrateur à la lisière de l'insondable Aokigahara Jukai est bien menée, les villageois rencontrés sèment le trouble, l'attraction sylvestre s'incarne. Un premier souvenir surgit, le narrateur évoque la perte de son père, son rapport à la mort : « Qui était cet homme figé aux lèvres pincées, trop étroitement cousues, les mains recroquevillées sur son crucifix ? Lui qui croyait à tout sauf en Dieu. C'était la mort chrétienne, cireuse, costumée et cravatée pour ne pas effrayer les vivants. Une horrible imposture qui ne rassurait pas. » Jusqu'ici, on accroche, ça prend sens. Mais la suite du récit est un enchaînement de souvenirs, une exploration de la mémoire inconsciente, où s'enracinent d'autres forêts noires. Une série de courtes proses qui se répondent et, en même temps, semblent annoncer la délitescence du roman. Cela est entrecoupé de courts chapitres en italique rappelant Aokigahara. On poursuit pour l'écriture travaillée, les très beaux passages sur la nature, nourris par une vision animiste ; cependant, lorsque l'auteur évoque l'horreur, c'est moins convaincant, on est loin des suffocantes descriptions de Gabrielle Wittkop. Quelque soit le sens vers lequel tend l'écrivain, on apprécie de le suivre sur son fil de funambule, sentir qu'il nous mène quelque part, et, à la fin, adhérer ou résister. Or, ici, la construction du récit ne semble pas répondre à cette attente de l'esprit. On perd le Japon, on se perd, la tension retombe, et la fin laisse une impression d'inachevé.

Il me faudra tout de même tenter un autre livre de Romain Verger, car certains aspects de Forêts noires m'ont captivée.

Romain Verger, Forêts noires, Quidam Éditeur, 2010, 90 pages

A consulter :

Olivier Le Carrer, Atlas des lieux maudits, Arthaud, 2013, 135 pages


Photographe inconnu
 

mardi 12 août 2014

En 1839, Jeremiah N. Reynolds publie dans The Knickerbocker (revue littéraire américaine) le récit fictif de la capture de Mocha Dick, un grand cachalot blanc, réel, qui appréciait les eaux de l'île de Mocha, située au large du Chili. Pour son apparence unique, sa résistance aux harponnages et sa férocité dans la riposte, Mocha Dick était célèbre parmi les baleiniers et craint des harponneurs. Ici, Reynolds met en scène, par l'intermédiaire d'un premier narrateur, un personnage passionné, le second du capitaine du baleinier Penguin, qui, poussé par l'équipage, raconte sa victoire sur le grand cachalot albinos. Un combat acharné où l'homme lutte pour la gloire et l'animal pour la vie. Loin de posséder la force symbolique du Moby Dick d'Herman Melville, on appréciera la puissance narrative de ce bref récit d'aventure.

Mais peut-on dire de Mocha Dick qu'il a inspiré à Melville son cétacé hors du commun ? Dans sa préface, Thierry Gillyboeuf explique : « Si l'on est sûr qu'Herman Melville a lu le récit d'Owen Chase relatant le célèbre naufrage du baleinier de Nantucket, l'Essex, à la suite de l'attaque d'un grand cachalot, il n'existe aucune preuve permettant d'affirmer qu'il ait eu connaissance de celui [de] Jeremiah N. Reynolds [...] Mais certaines similitudes entre les deux textes sont trop troublantes pour n'être que le fruit du hasard. »
« De loin, seul l'œil aguerri du marin était capable de décider si la masse en mouvement que constituait cet énorme animal n'était pas un nuage blanc glissant sur l'horizon. » (p.29)

Jeremiah N. Reynolds, Mocha Dick ou la baleine blanche du Pacifique : fragment d'un journal manuscrit, Éditions du Sonneur, 2013, 88 pages

Pour aller plus loin

Owen Chase, La tragédie de l'Essex ou le fantasme de Moby Dick, La Découvrance, 2013, 120 pages
Herman Melville, Moby Dick, Libretto, 2011, 816 pages


Artiste inconnu
 

vendredi 8 août 2014

Un fugitif condamné à la prison à perpétuité décide de se cacher sur une île désertée, malgré l'étrange menace qui plane sur ces lieux : « Elle est le foyer d'une maladie, encore mystérieuse, qui tue de la surface vers le dedans. » Trois constructions se situent dans la partie haute de l'île : un musée, une chapelle et une piscine. Au cours d'une énième nuit passée dans le musée, le narrateur entend de la musique et des cris. Face à l'apparition magique d'un groupe d'intrus, il est forcé de trouver refuge dans les basses terres, endroit insalubre, où il survit difficilement.

Le récit se présente sous la forme d'un journal intime. Le fugitif y relate ses observations, interprétations, obsessions concernant les événements invraisemblables dont il est le témoin terrifié et le solitaire amoureux : « J'écris ces lignes pour laisser un témoignage de l'hostile miracle. » Selon Jorge Luis Borges, l'exploit d'Adolfo Bioy Casares réside dans la trame de ce roman : « Il déploie une Odyssée de prodiges qui ne paraissent admettre d'autre clef que l'hallucination ou le symbole, puis il les explique pleinement grâce à un seul postulat fantastique, mais qui n'est pas surnaturel. » L'intérêt de cette lecture tient également aux thèmes abordés : l'immortalité, le sens de la vie, le progrès technique, pour les plus évidents. Un roman court mais dense qui nécessite assurément plusieurs lectures avant de dévoiler toutes ses subtilités.
«  [...] je crois que nous perdons l'immortalité parce que la résistance à la mort n'a pas évolué ; nous insistons sur l'idée première, rudimentaire, qui est de retenir vivant le corps tout entier. Il suffirait de chercher à conserver seulement ce qui intéresse la conscience. » (p.18)

Adolfo Bioy Casares, L'invention de Morel, 10/18, 1992, 124 pages
Traduit de l'argentin par Armand Pierhal
Préface de Jorge Luis Borges

mardi 5 août 2014

C'est à travers ce recueil de cinq nouvelles que je découvre l'univers et le style de l'écrivain polonais Andrzej Stasiuk.

Chaque nouvelle est un fragment d'existence dont la simplicité et la lenteur vont à contre-courant d'une société de la surabondance, pressée et condamnée à remplir le tonneau des Danaïdes, le trou sans fond de la consommation à outrance. Pawel, Mietek, Grzesiek et les autres possèdent peu et s'en contentent : "[...] aux régions dans l'opulence, je préfère celles plus pauvres où les objets possèdent une vraie valeur, où, probablement, les gens les aiment ne serait-ce qu'un peu parce qu'ils n'en possèdent pas d'autres." Entre déambulation et introspection, on récupère du cuivre dans le coffre de sa vieille Syrenka orange, on trimballe dans sa remorque un commerce peu prospère de vêtements de seconde main, on vit comme on peut. "Il faut bien faire quelque chose", selon Heniek, protagoniste de "Paris - London - New York".

Loin d'être construites en vue d'un dénouement surprenant, ces nouvelles semblent plutôt répondre à une démarche picturale et poétique. La lumière, omniprésente, apparaît dans une multitude de variations d'intensité et de couleurs. Seule, elle apporte nuance et clarté à ces vies qui flottent nonchalamment jusqu'à s'échouer sur le rivage du dernier souffle. Le propos nostalgique et les quelques répétitions sur l'état des choses ("C'est la nuit, de nouveau." ; "La nuit est là de nouveau."), laissent une sensation d'instants figés dans le confort de l'éternité.

Bien que l'on se sente pris dans une ambiance morne et brumeuse, on trouve dans ces échantillons du quotidien une source d'apaisement. Certainement un effet du style contemplatif de Stasiuk.

"La lune gagne de la hauteur. La lumière du jour s'est complètement évanouie, comme si elle avait plongé dans la terre. L'éclat argenté de la lune crée dans l'obscurité toutes sortes de nuances de noir. Les arbres projettent des ombres et, sur les pousses de mûriers, le gel luit comme du mercure. Les frondaisons des hêtres, des pins et des sapins, dessinent une ligne de crête dentelée et circulaire qui relève du hasard le plus absolu et du chaos. Elle forme comme un moule rigide et ferme dans lequel le ciel déverse par le haut, lentement, un air froid qui va figer comme de la glace ou comme un métal transparent, et il n'est pas impossible que les hommes se sentent alors comme les insectes que l'on retrouve emprisonnés dans des morceaux d'ambre, captifs de l'étrange espace où le temps prend l'apparence de choses matérielles, de particules et de combinaisons chimiques." ("Mietek", pages 36-37)

Andrzej Stasiuk, L'Hiver, Les Editions Noir sur Blanc, 2006, 84 pages
Traduit du polonais par Maryla Laurent 
 

lundi 30 décembre 2013

J'ai vu l'adaptation cinématographique de Jane Eyre par Cary Fukunaga en 2012. Saisie par ce qui devait paraître au XIXe siècle comme une cervelle d'homme dans un corps de femme, j'ai immédiatement commandé le livre : il fallait me replonger dans cette histoire pour mieux comprendre la psychologie de cette héroïne magnifique. Et je n'ai pas été déçue. Car, dans ce roman présenté comme une autobiographie, Jane nous fait part de toutes ses émotions et réflexions, on la suit pas à pas dans sa formation. Elle interpelle souvent son lecteur, le mettant face aux humiliations et injustices qu'elle subit, attendant qu'il se révolte lui aussi. Et comment ne pas vibrer avec elle ? On a vraiment l'impression de dialoguer avec Jane, d'être immergé dans son histoire et de devoir prendre parti en tant que témoin. Surtout, Jane ne triche pas et son audacieuse sincérité suscite en nous l'amitié.

Jane est un personnage aérien (nombreuses variations sur ce thème, notamment « la fée » et « l'oiseau ») qu'il est difficile de saisir. Les trois principaux personnages masculins de ce roman (Brockelhurt, Rochester et Rivers), qui présentent la figure du geôlier, tentent de capturer la frêle Jane par leur langage terrifiant et manipulateur. Mais sous ses dehors de petit être fragile, Jane leur oppose un esprit vif, perspicace et résistant. Que l'on capture son enveloppe charnelle, l'esprit s'envolera aussitôt vers d'autres contrées ! Pour Jane, pas de soumission possible à ce qu'elle juge indigne, elle vise à rester intègre. Voici comment Jane explique son refus d'un mariage sans amour avec son cousin Rivers : « Il me resterait encore ma personne intacte vers laquelle me tourner, mes sentiments naturels non réduits à l'esclavage avec lesquels communiquer dans les moments de solitude. Il y aurait, dans mon esprit, des lieux bien à moi, auxquels il n'accéderait jamais et où pousseraient des sentiments nouveaux et protégés que son austérité ne pourrait flétrir, ni son pas régulier de guerrier fouler au pied. »

Jane fascine pour son caractère passionné, elle ne connaît pas de demi-mesure. Dans son immense besoin d'être reconnue et aimée, elle est dans une « soumission absolue », faisant de son mieux pour plaire à une tante qui la hait, pour convenir aux professeurs de Lowood ou satisfaire ses employeurs. Mais lorsque l'injustice est trop grande, l'abus évident, Jane explose tel un volcan, oppose une « révolte résolue » et transperce son interlocuteur d'une parole vraie, où l'autre contemple ahuri une part de lui-même qu'il ne voulait pas voir. Elle sait qu'elle risque davantage de violence, voire le rejet, mais la rage est plus forte que la crainte et lui permet de rester entière face à l'adversité.

Autour de ce très beau personnage féminin, n'oublions pas de mentionner une ambiance gothique envoûtante, une intrigue habilement ficelée et de savoureux entretiens entre la jeune Jane et l'ombrageux Rochester.

Charlotte Brontë, Jane Eyre, Folio classique, 2012, 800 p.
Traduit de l'anglais par Dominique Jean

dimanche 29 décembre 2013

Il manque au second roman de Carole Martinez, Du domaine des Murmures, la puissance fabuleuse diffusée par son précédent, Le cœur cousu. Peut-être est-ce dû en partie à une distance, ces fragments d'analyse autour du conte et des croyances populaires qui s'immiscent dans le récit et brisent l'envoûtement. Cependant, c'est aussi cet aspect du roman qui nous offre une savoureuse illustration de la folie collective, nourrie de croyances et de superstitions. On repense alors à ce que disait Pierre Desproges des mouvements de masse : l'intelligence y est divisée proportionnellement au nombre des individus regroupés. Dans le même ordre d'idée, il y a encore cette régulière interpellation du lecteur contemporain qui s'avère assez maladroite. Elle insiste lourdement sur l'évolution des mentalités et nous arrache une fois de plus à l'enchantement du conte. Cela ressort comme un artifice venant soutenir une fragilité du récit. Récit qui, bien mené, devrait se suffire à lui-même pour marquer les esprits.

Cela dit, le style de Carole Martinez est toujours là, mais il brille plus ou moins selon les passages. Une écriture imagée et sensitive, brutale aussi, qui incarne l'événement extérieur comme le drame intérieur. Le point de vue n'est pas univoque, malgré un thème qui déchaîne plus les passions qu'il ne stimule la réflexion. En effet, même si la terrible et révoltante condition des femmes est au cœur du propos, l'auteur n'oublie pas d'évoquer l'univers des bourreaux, ces hommes pris au piège de leur propre système de domination. Ainsi, les protagonistes sont peints de façon à ce qu'on saisisse mieux les rouages d'un système qui les dépasse, et qui les pousse pour les uns au sacrifice par l'enfermement, pour les autres à des crimes abominables. Comment les individus se démènent-ils face aux représentations et discours liés à leur sexe ?

Il faut encore reconnaître que l'auteur a surmonté avec habileté la difficulté de faire se dérouler un récit au Moyen Âge. Ici, pas d'éprouvante reconstitution historique noyant la trame principale, la période reste en filigrane et au service du propos : la condition féminine, le désir, la maternité, expériences intemporelles vues sous l'angle d'une société patriarcale violente et profondément imbibée de religion superstitieuse. Le désir y est d'ailleurs pleinement incarné par un personnage secondaire, peut-être le plus beau du roman, Bérengère, tellement libérée qu'elle en devient fantasmagorique.

Une belle lecture en définitive, même si cette fois je n'ai été saisie ni d'émerveillement ni d'horreur comme ce fut le cas avec Le cœur cousu (l'homme qui se prenait pour un coq ou la scène de la grotte).

Carole Martinez, Du domaine des Murmures, Folio, 2013, 240 p.

samedi 28 décembre 2013

Dans le cadre de la collection « les affranchis » proposée par les éditions du Nil, où il s’agit pour l’auteur d’écrire une lettre qu’il n’a jamais écrite, Linda Lê s’adresse à l’enfant qu’elle a choisi de ne pas avoir.
On assiste au choc frontal entre une femme toute entière consacrée à la littérature et le terrible diktat de la maternité. Linda Lê se pose mille et une questions sur ce que serait son lien à l’enfant au vu de sa douloureuse histoire hantée par sa toute-puissante mère surnommée « Big Mother », son caractère aux accents inflexibles, ses obsessions d’écrivain et de lectrice vorace, ou encore ses redoutables passages à vide.
    « Je m’offusquais de ce mépris pour mes enseignants, sans qui le dressage de Big Mother aurait occasionné un ébranlement. Aller en classe, c’était lui échapper pour quelques heures, fouiner dans les bibliothèques, c’était amasser des trésors et y puiser, pas seulement afin de me doter d’une teinture de culture : forte de ces richesses, je me fabriquais une personnalité, je me blindais contre les méchancetés de celle qui, en tous lieux, se plaisait à nous diminuer, mes sœurs et moi. » (p.20)
Le « je » de cette lettre, dans sa diaphanéité, s’appréhende comme un complexe et précieux objet, tel une montre à gousset dont on ouvrirait le boîtier, pour en exposer les rouages afin de comprendre le mécanisme responsable de l’affichage qui nous est donné à voir.
Doutes, questionnements, arguments, obstination ou effondrement, on suit l’auteur dans son cheminement de femme qui ne souhaite pas devenir mère et qui brandit volontiers, tel un bouclier, cette citation tirée du Journal de Tolstoï : « La maternité n’est pas la plus haute vocation d’une femme. » D’ailleurs, au-delà de l’enfant qu’elle n’aura pas, ce sont « toutes celles qui se sont dispensées de se conformer aux lois de la nature » qui se voient adressées ces lignes d’une réelle sagacité et d’une surprenante ténacité.
L’enfant, lui, trouve sa place en tant qu’être immatériel, mais doué de vie, lové dans les replis d’une âme. Et c’est dans cet état de présence, bénéfique car validée par Linda Lê, qu’il peut lui tendre un miroir pour qu’elle puisse à partir de ce bienveillant reflet se dépasser et s’améliorer.
    « Tu m’as aidée à me transcender, j’ai des audaces qu’avant de me rendre compte de mes déficiences, je ne me permettais pas. Je te dois de m’être surmontée, de n’être plus tout uniment cette imprécatrice tirant à boulets rouges sur mes prochains, j’ai tenté d’enrichir mes compositions de subtiles gradations. Au quotidien, ce ne sont plus les montagnes russes – les hauts et les bas qui me détraquent les nerfs se succèdent à un rythme moins rapide. Depuis que je ne me récuse plus en évitant d’anticiper, de m’interroger sur les modifications qui auraient résulté de ta venue au monde, tu n’es plus pour moi un tourment. » (p.63-64)
À l’enfant que je n’aurai pas est un texte court mais dense, livré dans une écriture exigeante parsemée d’un vocabulaire pointu, d’images frappantes et de références éclairantes. Dans ces lignes, on voit palpiter une sensibilité extrême comme les veines sous une peau fine et pâle. Un texte poignant à la maîtrise remarquable.

Linda Lê, À l'enfant que je n'aurai pas, Nil, "les affranchis", 2011, 65 p.