samedi 28 décembre 2013

Dans le cadre de la collection « les affranchis » proposée par les éditions du Nil, où il s’agit pour l’auteur d’écrire une lettre qu’il n’a jamais écrite, Linda Lê s’adresse à l’enfant qu’elle a choisi de ne pas avoir.
On assiste au choc frontal entre une femme toute entière consacrée à la littérature et le terrible diktat de la maternité. Linda Lê se pose mille et une questions sur ce que serait son lien à l’enfant au vu de sa douloureuse histoire hantée par sa toute-puissante mère surnommée « Big Mother », son caractère aux accents inflexibles, ses obsessions d’écrivain et de lectrice vorace, ou encore ses redoutables passages à vide.
    « Je m’offusquais de ce mépris pour mes enseignants, sans qui le dressage de Big Mother aurait occasionné un ébranlement. Aller en classe, c’était lui échapper pour quelques heures, fouiner dans les bibliothèques, c’était amasser des trésors et y puiser, pas seulement afin de me doter d’une teinture de culture : forte de ces richesses, je me fabriquais une personnalité, je me blindais contre les méchancetés de celle qui, en tous lieux, se plaisait à nous diminuer, mes sœurs et moi. » (p.20)
Le « je » de cette lettre, dans sa diaphanéité, s’appréhende comme un complexe et précieux objet, tel une montre à gousset dont on ouvrirait le boîtier, pour en exposer les rouages afin de comprendre le mécanisme responsable de l’affichage qui nous est donné à voir.
Doutes, questionnements, arguments, obstination ou effondrement, on suit l’auteur dans son cheminement de femme qui ne souhaite pas devenir mère et qui brandit volontiers, tel un bouclier, cette citation tirée du Journal de Tolstoï : « La maternité n’est pas la plus haute vocation d’une femme. » D’ailleurs, au-delà de l’enfant qu’elle n’aura pas, ce sont « toutes celles qui se sont dispensées de se conformer aux lois de la nature » qui se voient adressées ces lignes d’une réelle sagacité et d’une surprenante ténacité.
L’enfant, lui, trouve sa place en tant qu’être immatériel, mais doué de vie, lové dans les replis d’une âme. Et c’est dans cet état de présence, bénéfique car validée par Linda Lê, qu’il peut lui tendre un miroir pour qu’elle puisse à partir de ce bienveillant reflet se dépasser et s’améliorer.
    « Tu m’as aidée à me transcender, j’ai des audaces qu’avant de me rendre compte de mes déficiences, je ne me permettais pas. Je te dois de m’être surmontée, de n’être plus tout uniment cette imprécatrice tirant à boulets rouges sur mes prochains, j’ai tenté d’enrichir mes compositions de subtiles gradations. Au quotidien, ce ne sont plus les montagnes russes – les hauts et les bas qui me détraquent les nerfs se succèdent à un rythme moins rapide. Depuis que je ne me récuse plus en évitant d’anticiper, de m’interroger sur les modifications qui auraient résulté de ta venue au monde, tu n’es plus pour moi un tourment. » (p.63-64)
À l’enfant que je n’aurai pas est un texte court mais dense, livré dans une écriture exigeante parsemée d’un vocabulaire pointu, d’images frappantes et de références éclairantes. Dans ces lignes, on voit palpiter une sensibilité extrême comme les veines sous une peau fine et pâle. Un texte poignant à la maîtrise remarquable.

Linda Lê, À l'enfant que je n'aurai pas, Nil, "les affranchis", 2011, 65 p.

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