vendredi 27 décembre 2013

Ils sont vingt-deux à former un bloc de chair et d’os pour contrer le vent et remonter inlassablement jusqu’à sa source. Ce groupe d’élite, dressé dès l’enfance à avancer à tout prix et dans lequel chacun tient une place essentielle, va subir les assauts du doute qui sont peut-être plus violents encore que le furvent. La vie en autarcie ancre les certitudes quand les rencontres sèment les interrogations. Mais ils sont nourris par la fureur de vaincre de leur traceur Golgoth et liés par le verbe de leur troubadour Caracole. Ils traversent le monde à pied vers un Extrême-Amont fuyant, leur quête, exposent leur vie à des expériences de plus en plus redoutables, sans échapper aux sentiments communs à tous les êtres humains (l’amitié, l’amour, le deuil), malgré un quotidien extraordinaire.

La Horde du Contrevent n’est ni tout à fait œuvre de science-fiction ni tout à fait de fantasy ; l’auteur parle volontiers de littérature de l’imaginaire. Et l’imagination d’Alain Damasio est particulièrement fertile. Il écrit peu mais il crée ici un univers d’une telle épaisseur ! Ce monde sculpté par le vent l’est aussi par des idées nourries de lectures philosophiques et un travail passionné de la langue. Univers et style apparaissent comme indissociables. Le personnage de Golgoth est si charismatique qu’on s’attend presque à ce qu’un visage en furie déforme le papier pour mieux se faire entendre. Ses propos outranciers et vulgaires ont la surprenante habitude de désamorcer les moments les plus tendus de cette aventure en provoquant le rire. Celui de Caracole nous émerveille pour sa malice qui s’intensifie par son habileté, toujours plus surprenante, à jongler avec les mots. On admire encore la maîtrise de ce roman polyphonique, déroutant au premier abord mais participant assurément, en plus d’une écriture très visuelle, à amplifier cette impression de totalité englobante : on finit par contrer avec eux.

Arrivée au bout… de ce roman, je ne vous dis rien pour l’Extrême-Amont, sauf qu’on est surpris et plutôt désappointé, je me suis beaucoup questionnée sur la distance qu’on se doit de prendre avec notre éducation. Le conditionnement des hordiers m’a fait penser à celui que doivent subir les kamikazes formés très jeunes. Je ne sais pas si c’est ce dont parle fondamentalement ce livre, mais c’est ce qu’il a interpelé en moi. Le contre le plus difficile est peut-être celui-là : mettre une distance juste entre nous et ce que l’on nous a appris. Qu’il faut choisir en fonction de soi, de ses inspirations et besoins personnels, et non selon les attentes et les exigences d’autrui, fussent-ils nos parents et nos maîtres.

Alain Damasio, La Horde du Contrevent, Folio SF, 2004, 700 p.
 

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