jeudi 26 décembre 2013

Les Vrilles de la vigne est un recueil de textes épars ayant été écrits entre 1905 et 1908. Il se compose de dix-huit textes qui, à l’origine, sont des articles parus dans différents journaux ; ce qui peut expliquer la diversité des thèmes abordés. L’édition de ce recueil a été retouchée par Colette à plusieurs reprises ; certains textes ont été supprimés, puis réintégrés, d’autres ajoutés. En effet, c’est en 1934 qu’elle y insère cinq nouveaux textes, deux datant de 1909 (« Rêverie de nouvel an » et « Chanson de la danseuse ») qui s’intègrent avec justesse au recueil, et trois textes de 1933, donc beaucoup plus tardifs, qui dénotent par leur tonalité plus grave, notamment pour « Amours » et « Un rêve » qui sont des textes animaliers, car « Maquillages » reste un objet non identifié ici (article publicitaire publié dans l’espoir de sauver un institut de beauté).

Les Vrilles de la vigne est une fenêtre ouverte sur les thèmes chers à Colette : la nature, les animaux, le milieu du spectacle, le pays natal, l’amour, l’indépendance, la solitude ou encore le miroir. Ces récits lyriques, empreints de nostalgie et de mélancolie, se présentent sous diverses formes : poème en prose, texte animalier, dialogue de bêtes, confidence, anecdote ou encore texte fictionnel mais uniquement pour « La dame qui chante ». La variété de ces textes fait certainement de ce recueil une excellente introduction à l’œuvre de Colette. Mais elle implique aussi une sélection du lecteur selon sa sensibilité, d’autant plus que le registre même de ce recueil, le lyrisme, nous enveloppe tout entier dans le domaine de la sensation et du sentiment personnel. Ainsi, au niveau stylistique, on retrouve une musicalité et un propos très imagé, avec parfois l’impression d’accéder, à travers les mots, aux visions ou aux senteurs expérimentées par l’auteur.

J’ai adoré plusieurs textes, d’autres m’ont moins touchée, mais tous sont admirables pour leur construction et la somptueuse écriture qui les anime. Et ce qui me fascine toujours chez Colette, c’est ce qu’elle dit des animaux. La finesse de l’analyse et les descriptions sont absolument remarquables. La nouvelle intitulée « Nonoche » en est une parfaite illustration. Mais il y a aussi la puissance de l’écriture, ces propos qui percutent et nous entraînent dans une réflexion parfois douloureuse. Cette force transparaît dans la nouvelle « Rêverie du nouvel an » où il est question de la fuite du temps, de la nécessité de vieillir et de l’acceptation de ce passage inéluctable de l’existence.

Une lecture que je recommande donc sans hésiter, sauf en cas d'allergie au lyrisme, bien entendu. Ce recueil me semble être notamment une bonne introduction à l’œuvre de Colette.

Pour la musicalité :
« Je voudrais dire, dire, dire tout ce que je sais, tout ce que je pense, tout ce que je devine, tout ce qui m’enchante et me blesse et m’étonne […] » (p.104-105)
Pour le sens de la vue : 
 « Un oiseau noir jaillit du couchant, flèche lancée par le soleil qui meurt. Il passe au-dessus de ma tête avec un crissement de soie tendue et se change, contre l’est obscur, en goéland de neige… » (p.183)
Pour le sens de l'odorat :
 « A la première haleine de la forêt, mon cœur se gonfle. Un ancien moi-même se dresse, tressaille d’une triste allégresse, pointe les oreilles, avec des narines ouvertes pour boire le parfum.
    Le vent se meurt sous les allées couvertes, où l’air se balance à peine, lourd, musqué… Une vague molle de parfum guide les pas vers la fraise sauvage, ronde comme une perle, qui mûrit ici en secret, noircit, tremble et tombe, dissoute lentement en suave pourriture framboisée dont l’arôme enivre, mêlé à celui d’un chèvrefeuille verdâtre, poissé de miel, à celui d’une ronde de champignons blancs… » (p.180)
Extrait de "Nonoche" :
 « Son poil a senti passer l’ombre d’un oiseau ! Elle ne sais pas bien ce qui arrive. Elle a ouvert trop vite ses yeux japonais, d’un vert qui met l’eau sous la langue. Elle a l’air bête comme une jeune fille très jolie, et ses taches de chatte portugaise semblent plus en désordre que jamais : un rond orange sur la joue, un bandeau noir sur la tempe, trois points noirs au coin de la bouche, près du nez blanc fleuri de rose… Elle baisse les yeux et la mémoire de toutes choses lui remonte au visage dans un sourire triangulaire ; contre elle, noyé en elle, roulé en escargot, sommeille son fils. » (p.118)
Extrait de "Rêverie de nouvel an" : 
 « Va-t’en parée, va-t’en douce, et ne t’arrête pas le long de la route irrésistible, tu l’essaierais en vain, − puisqu’il faut vieillir ! Suis le chemin, et ne t’y couche que pour mourir. Et quand tu t’étendras en travers du vertigineux ruban ondulé, si tu n’as pas laissé derrière toi, un à un, tes cheveux en boucles, ni tes dents une à une, ni tes membres un à un usés, si la poudre éternelle n’a pas, avant ta dernière heure, sevré tes yeux de la lumière merveilleuse, si tu as, jusqu’au bout, gardé dans ta main la main amie qui te guide, couche-toi en souriant, dors heureuse, dors privilégiée… » (p.207)
 Colette, Sido suivi de Les Vrilles de la vigne, Le Livre de Poche, 2004, 224 p.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire