lundi 10 janvier 2011


« − Avez-vous déjà vu cette porte ? » C’est au cours d’une de leurs habituelles excursions dominicales que M. Enfield interroge son cousin, le notaire M. Utterson, au sujet d’une mystérieuse bâtisse d’aspect tout à fait sinistre. Elle est liée dans son souvenir à un événement fort troublant et à un personnage particulièrement détestable. Le récit qu’il fait de cette affreuse soirée fait inopinément écho à une étrange affaire qui intrigue le notaire, un testament inquiétant dont il ne sait que penser concernant son ami le Dr Jekyll et le bénéficiaire, un inconnu nommé Hyde…

Cette histoire est si célèbre qu’on en connaît souvent le dénouement. Ceci n’enlève rien à l’intérêt de ce récit à la structure narrative brillante et au suspense parfaitement maîtrisé. L’écriture visuelle de Stevenson donne davantage de relief aux scènes les plus frappantes, mais elle alimente également l’atmosphère inquiétante du récit, cette brume qui enveloppe non seulement le paysage mais encore les personnages dans leur compréhension des événements. La multiplication des points de vue, qui passe ici par l’insertion de lettres de personnages, est également appréciable car elle évite d’imposer une signification univoque au récit. Le texte se clôt même sur une lettre de celui qui a le mauvais rôle sans que les autres personnages n’interviennent ensuite pour entraîner une morale à cette histoire. Le lecteur se voit donc libre de formuler sa propre conclusion. L’intérêt de ce récit réside encore dans son thème : le dédoublement de personnalité. L’auteur suit les progrès de son temps, une époque où l’étude de la psychologie et de l’inconscient était en plein essor. Mais il est aussi influencé par les préjugés de celle-ci puisqu’il met un soin particulier à décrire les traits physiques de cet individu haïssable qui finit par être considéré comme un monstre n’ayant plus rien d’humain. En effet, il tient compte d’une croyance populaire selon laquelle il y avait un lien entre des difformités physiques et des traits de caractères anormaux. Ceci dit, la portée de cette affaire va bien au-delà, elle touche à l’universel en mettant en scène la lutte d’un homme entre le bien et le mal, cette dualité présente en chaque être humain.

Robert Louis Stevenson, L'étrange cas du Dr Jekyll et de M. Hyde, Chefs-d’œuvre universels/Gallimard Jeunesse, 1999, 105 pages