vendredi 1 juillet 2011


« Le vieil homme était maigre et sec, avec des rides comme des coups de couteau sur la nuque. Les taches brunes de cet inoffensif cancer de la peau que cause la réverbération du soleil sur la mer des Tropiques marquaient ses joues ; elles couvraient presque entièrement les deux côtés de son visage ; ses mains portaient les entailles profondes que font les filins au bout desquels se débattent de lourds poissons. Mais aucune de ces entailles n’était récente : elles étaient vieilles comme les érosions d’un désert sans poissons. »
Cela fait maintenant quatre-vingt-quatre jours que le vieux Santiago n’a pas pris un poisson. Lorsqu’il s’installe à la Terrasse pour prendre une bière, la plupart des pêcheurs se moquent de lui, d’autres le regardent avec tristesse. Mais on lui retire surtout son apprenti et ami Manolin. Désormais, le garçon embarquera sur un autre bateau, le vieux étant « décidément et sans remède salao ce qui veut dire aussi guignard qu’on peut l’être. » Alors, à l’aube du quatre-vingt-cinquième jour, le vieux Santiago décide de forcer la chance et s’embarque pour le large du Gulf Stream. Il y rencontre son poisson. S’amorce alors un combat épique de trois jours et deux nuits entre le vieil homme et un gigantesque espadon.

Le poisson, c’est la mer. Le vieil homme, c’est la condition humaine face à la puissance de la nature. L’homme, s’il veut survivre, doit compter sur son intelligence pour rééquilibrer la lutte. Voilà pourquoi ce que craint le plus le vieux Santiago, c’est de perdre la boule. Même si son corps se montre défaillant par moment et le fragilise davantage devant la force colossale du poisson, c’est son expérience de pêcheur, la technique, qui lui permet de résister et de ne pas abandonner. La douleur et la fatigue finissent malgré tout par engendrer des épisodes délirants, et le vieux pêcheur doit alors déployer toute sa volonté pour tenter de se contrôler.
On retiendra encore cette belle leçon de respect dans l’adversité. Car Santiago est obstiné dans son entreprise, mais il sait reconnaître qu’il a affaire à un adversaire aussi digne et courageux que lui-même. Le vieux s’adresse au poisson tout au long du combat et finira par l’appeler « mon frère ». Ainsi, le vieil homme oscille entre orgueil et humilité : son intelligence surpasse celle de l’animal, mais il doit rester humble devant tant de force et de beauté. La fin du récit semble en tout cas aller dans ce sens : sans ses inventions, l’homme est peu de chose dans la nature. Santiago va reconquérir l’estime de ses pairs, mais il aura aussi compris où était la place de l’homme dans cette immensité qu’est l’océan.
« Il faisait nuit ; en septembre la nuit vient tout de suite après le coucher du soleil. Le vieux s’appuya contre le bois usé du plat-bord et se reposa un bon coup. Les premières étoiles se montraient. Il ne connaissait pas le nom de Riel, mais il la voyait, et savait que bientôt toutes ses amies lointaines parsèmeraient le ciel.
− Le poisson aussi est mon ami, dit-il tout haut. J’ai jamais vu un poisson pareil ; j’ai jamais entendu parler d’un poisson comme ça. Pourtant faut que je le tue. Heureusement qu’on n’est pas obligé de tuer les étoiles ! »

Remarque : Lors de sa publication, Le vieil homme et la mer d’Ernest Hemingway a été comparé par certains critiques à L’ours de William Faulkner et Moby Dick de Herman Melville. (source : Wikipedia)


Ernest Hemingway, Le vieil homme et la mer, Folio junior, 2009, 144 pages
Traduit de l'anglais par Jean Dutourd