dimanche 29 décembre 2013

Il manque au second roman de Carole Martinez, Du domaine des Murmures, la puissance fabuleuse diffusée par son précédent, Le cœur cousu. Peut-être est-ce dû en partie à une distance, ces fragments d'analyse autour du conte et des croyances populaires qui s'immiscent dans le récit et brisent l'envoûtement. Cependant, c'est aussi cet aspect du roman qui nous offre une savoureuse illustration de la folie collective, nourrie de croyances et de superstitions. On repense alors à ce que disait Pierre Desproges des mouvements de masse : l'intelligence y est divisée proportionnellement au nombre des individus regroupés. Dans le même ordre d'idée, il y a encore cette régulière interpellation du lecteur contemporain qui s'avère assez maladroite. Elle insiste lourdement sur l'évolution des mentalités et nous arrache une fois de plus à l'enchantement du conte. Cela ressort comme un artifice venant soutenir une fragilité du récit. Récit qui, bien mené, devrait se suffire à lui-même pour marquer les esprits.

Cela dit, le style de Carole Martinez est toujours là, mais il brille plus ou moins selon les passages. Une écriture imagée et sensitive, brutale aussi, qui incarne l'événement extérieur comme le drame intérieur. Le point de vue n'est pas univoque, malgré un thème qui déchaîne plus les passions qu'il ne stimule la réflexion. En effet, même si la terrible et révoltante condition des femmes est au cœur du propos, l'auteur n'oublie pas d'évoquer l'univers des bourreaux, ces hommes pris au piège de leur propre système de domination. Ainsi, les protagonistes sont peints de façon à ce qu'on saisisse mieux les rouages d'un système qui les dépasse, et qui les pousse pour les uns au sacrifice par l'enfermement, pour les autres à des crimes abominables. Comment les individus se démènent-ils face aux représentations et discours liés à leur sexe ?

Il faut encore reconnaître que l'auteur a surmonté avec habileté la difficulté de faire se dérouler un récit au Moyen Âge. Ici, pas d'éprouvante reconstitution historique noyant la trame principale, la période reste en filigrane et au service du propos : la condition féminine, le désir, la maternité, expériences intemporelles vues sous l'angle d'une société patriarcale violente et profondément imbibée de religion superstitieuse. Le désir y est d'ailleurs pleinement incarné par un personnage secondaire, peut-être le plus beau du roman, Bérengère, tellement libérée qu'elle en devient fantasmagorique.

Une belle lecture en définitive, même si cette fois je n'ai été saisie ni d'émerveillement ni d'horreur comme ce fut le cas avec Le cœur cousu (l'homme qui se prenait pour un coq ou la scène de la grotte).

Carole Martinez, Du domaine des Murmures, Folio, 2013, 240 p.

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