mardi 5 août 2014

C'est à travers ce recueil de cinq nouvelles que je découvre l'univers et le style de l'écrivain polonais Andrzej Stasiuk.

Chaque nouvelle est un fragment d'existence dont la simplicité et la lenteur vont à contre-courant d'une société de la surabondance, pressée et condamnée à remplir le tonneau des Danaïdes, le trou sans fond de la consommation à outrance. Pawel, Mietek, Grzesiek et les autres possèdent peu et s'en contentent : "[...] aux régions dans l'opulence, je préfère celles plus pauvres où les objets possèdent une vraie valeur, où, probablement, les gens les aiment ne serait-ce qu'un peu parce qu'ils n'en possèdent pas d'autres." Entre déambulation et introspection, on récupère du cuivre dans le coffre de sa vieille Syrenka orange, on trimballe dans sa remorque un commerce peu prospère de vêtements de seconde main, on vit comme on peut. "Il faut bien faire quelque chose", selon Heniek, protagoniste de "Paris - London - New York".

Loin d'être construites en vue d'un dénouement surprenant, ces nouvelles semblent plutôt répondre à une démarche picturale et poétique. La lumière, omniprésente, apparaît dans une multitude de variations d'intensité et de couleurs. Seule, elle apporte nuance et clarté à ces vies qui flottent nonchalamment jusqu'à s'échouer sur le rivage du dernier souffle. Le propos nostalgique et les quelques répétitions sur l'état des choses ("C'est la nuit, de nouveau." ; "La nuit est là de nouveau."), laissent une sensation d'instants figés dans le confort de l'éternité.

Bien que l'on se sente pris dans une ambiance morne et brumeuse, on trouve dans ces échantillons du quotidien une source d'apaisement. Certainement un effet du style contemplatif de Stasiuk.

"La lune gagne de la hauteur. La lumière du jour s'est complètement évanouie, comme si elle avait plongé dans la terre. L'éclat argenté de la lune crée dans l'obscurité toutes sortes de nuances de noir. Les arbres projettent des ombres et, sur les pousses de mûriers, le gel luit comme du mercure. Les frondaisons des hêtres, des pins et des sapins, dessinent une ligne de crête dentelée et circulaire qui relève du hasard le plus absolu et du chaos. Elle forme comme un moule rigide et ferme dans lequel le ciel déverse par le haut, lentement, un air froid qui va figer comme de la glace ou comme un métal transparent, et il n'est pas impossible que les hommes se sentent alors comme les insectes que l'on retrouve emprisonnés dans des morceaux d'ambre, captifs de l'étrange espace où le temps prend l'apparence de choses matérielles, de particules et de combinaisons chimiques." ("Mietek", pages 36-37)

Andrzej Stasiuk, L'Hiver, Les Editions Noir sur Blanc, 2006, 84 pages
Traduit du polonais par Maryla Laurent 
 

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