samedi 13 mars 2010


« Tout le monde s’inclina vers le Patron qui souriait ; et Duroy, gris de triomphe, but d’un trait. Il aurait vidé de même une barrique entière, lui semblait-il ; il aurait mangé un bœuf, étranglé un lion. Il se sentait dans les membres une vigueur surhumaine, dans l’esprit une résolution invincible et une espérance infinie. »

Georges Duroy, sans le sou, arpente les rues de Paris, indécis sur la façon d’occuper cette chaude soirée d’été. Son petit salaire de fonctionnaire lui rend chaque fin de mois difficile et il peste contre ces gens attablés aux terrasses des cafés qui peuvent se payer le luxe de se désaltérer. Il se dandine avec grâce, fier comme un paon, mais envieux et furieux, puis bouscule des passants qui lui crient : « En voilà un animal ! » C’est alors qu’il croise un ancien camarade de régiment qu’il n’a pas revu depuis plusieurs années. Celui-ci lui proposera de devenir journaliste à La Vie française en même temps qu’il lui fera une première leçon d’arrivisme.

L’entrée de Georges Duroy dans la vie mondaine est éclatante et son ascension fulgurante. Il découvre très vite son plus précieux atout et n’hésitera pas à en user pour assouvir son ambition. Son surnom de Bel-Ami évoque incontestablement son succès auprès des femmes. Et c’est avant tout par la stratégie amoureuse que Georges Duroy avance sans entrave sur l’échiquier de cette société parisienne de la fin du XIXe siècle.
Maupassant fait donc de son héros une figure de l’arrivisme et donne à ce roman un rythme effréné répondant à l’urgence d’assouvir l’ambition. Le lecteur se retrouve embarqué dans une frénésie de réussites sans temps morts et sans faux pas qui fait de Bel-Ami une illustration du roman de formation.
Le roman évolue sur fond de politique coloniale et c’est par le procédé de l’ironie que Maupassant choisit de condamner les pratiques françaises dans ce domaine. Il s’attèle également à dépeindre les liens étroits qui unissent le capitalisme, la politique et la presse. Un système encore d’actualité, les journaux appartenant pour la plupart à de grands groupes financiers qui peuvent par ce biais influer sur le monde politique. Mais Maupassant s’attaque surtout au métier de journaliste, de manière frontale, donnant à voir une salle de rédaction à l’ambiance cynique, offrant sous un jour unilatéralement négatif une vision d’une profession qu’il a lui-même longtemps exercé. L’écriture se fait alors particulièrement incisive et frappe juste en peu de coups. Mais elle sait aussi se faire imagée et percutante de beauté, dans les descriptions de paysages notamment, ou encore terrifiante s’agissant des scènes d’angoisses que maîtrise si bien Guy de Maupassant.
Enfin, il est intéressant de noter l’évolution qui se fait autour de ce surnom de Bel-Ami. Il correspond au départ au côté séducteur et aimable du personnage et n’est employé que par sa maîtresse et la fille de celle-ci qui est d’ailleurs à l’origine de ce baptême. Puis, le surnom sera adopté par toutes les femmes qui entourent le héros et enfin, jusqu’à Monsieur Walter lui-même, directeur de La Vie française. Mais on assiste, parallèlement, à une évolution dans le comportement de Bel-Ami qui se montre de plus en plus odieux et perfide. Car Bel-Ami obsédé par la conquête du pouvoir et de la reconnaissance qui l’accompagne se soucie peu des marches qu’il emprunte pour y parvenir. Le surnom finit donc par retentir comme une terrible plaisanterie, car on cherche en vain ce qu’il reste d’aimable chez cet individu sans scrupules.

Un roman qui enchante assurément par son harmonie entre l’ascension du héros et la dynamique du texte !

Guy de Maupassant, Bel-Ami, GF Flammarion, 2008, 432 pages

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