samedi 6 avril 2013

Six personnages tentent de maintenir une conversation conviviale autour des souvenirs émus de H.I quand le mutisme d’un septième vient enrayer la bonne marche du système. Malgré les encouragements des cinq autres voix et prenant ce silence comme une offense, H.I cherche à en connaître la cause par tous les moyens. Il se montre alors agressif envers le silencieux Jean-Pierre, ce qui provoque l’éclatement du dialogue et la colère de ses interlocuteurs.

Le Silence est une pièce particulièrement déroutante. D’une part, les personnages ne possèdent pas d’état civil. Les voix nous apparaissent désincarnées, ce qui entraîne une impression d’anonymat. Sans corps, sans caractère défini, ce sont des interlocuteurs en tant que fonction. Seul l’individu silencieux est nommé, peut-être parce qu’il devient par son mutisme le centre de gravité de ces six voix. En effet, on cherche à comprendre les raisons de son silence, on suppose qu’il est tour à tour méprisant, timide, indifférent, et cela finit par lui donner consistance.

D’autre part, au début de la pièce, nous sommes plongés dans une conversation en cours et la fin n’y met pas un terme. Nathalie Sarraute semble avoir disséqué une banale conversation afin d’en prélever un élément pour l’analyser au microscope : la gêne occasionnée par le silence d’un interlocuteur est grossie au maximum et poussée à l’extrême dans ses conséquences. Les paroles sont irrésistiblement attirées par ce trou noir au cœur du dialogue et s’y abîment. Et c’est tout particulièrement H.I qui, montrant du doigt ce dérangeant silence, viole la convention qui consiste à ignorer le problème dans un souci de politesse et de convivialité, et entraîne l’échange dans une spirale infernale.

Le Silence est donc une ouverture étonnante sur les rouages de la conversation, et nous fait spécialement découvrir le pouvoir que peut avoir celui qui sait se taire sur son entourage. C’est tout de même stupéfiant : on s’y tue à coups de mots pour un silence.

    H.I : Voilà. Vous entendez ? Ça ne vaut rien. De la camelote. Bon pour les conversations. Tout juste. Nos conversations. Un homme au goût raffiné, ça l’écœure, vous voyez. Vous savez que vous êtes salutaire. Des gens comme vous sont nécessaires. Ils font progresser… Ils portent haut le flambeau…
    Il crie tout à coup.
   Faux, faux, archifaux. Je suis fou. C’est du délire de générosité. Vous ne servez à rien. Ce n’est pas ça. Qu’est-ce que je vais chercher ? Qu’est-ce que vous avez fait pour vous permettre… Je n’ai pas de leçons à recevoir. Vous haïssez la poésie. Vous haïssez tout ça sous toutes ses formes, la forme brute, la forme travaillée. Vous êtes pratique. Et ce que vous appelez les sentimentalités… Oh, il n’y a pas de place pour nous deux en ce monde. Je ne peux pas vivre où vous vous trouvez. J’étouffe, je meurs… Vous êtes destructeur. Je vais vous réduire à merci. Je vais vous forcer à vous agenouiller. Je vais les décrire, moi, ces auvents, et on vous obligera, que vous le vouliez ou non. Vous serez forcé… Il a répété forcé ? Vous avez dit forcé, en riant.
Nathalie Sarraute, Le Silence, Folio théâtre, 1998, 93p.

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