jeudi 11 avril 2013

Après s’être attaqué à la bourgeoisie thatchérienne dans son Testament à l’anglaise, Jonathan Coe s’en prend à la middle class britannique, incarnée par Maxwell Sim. C’est un homme d’âge moyen, qui mène une vie moyenne, dont l’intérêt pour la culture est quasiment nul, qui aime les chaînes de restaurants parce qu’elles le rassurent, qui a un compte facebook où il croit avoir des amis, et qui est surtout… en dépression. C’est d’une banalité effarante. Mr Sim est ennuyeux à crever, il se laisse voguer sur le flot de l’existence. Mais voilà ! Comme on sait, la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Sa femme le quitte et lui offre un billet d’avion pour l’Australie. S’ensuit toute une série de rencontres qui entraînent ce pauvre homme vers une trajectoire existentielle. Il s’y démène comme il peut mais frôle la noyade. Même la bienveillante présence d’Emma, la voix féminine de son GPS, ne saurait le sauver de toutes ces années de ballottements dues à la fainéantise intellectuelle et l’horreur de l’introspection.

Il souffle sur ce récit, comme sur tous ceux que j’ai lus de cet auteur, un puissant vent de mélancolie. Comme une vision désabusée qui nous aspire, tel un trou noir, pour mieux broyer nos espérances. Ici, je me suis sentie particulièrement happée, car Maxwell Sim m’a rappelé quelques personnes que je connais et dont la mollesse face à l’existence me trouble profondément. Car il se laisse aller, cède à des sentiments faciles et mesquins, et surtout, détient un fabuleux talent pour se faire mal tout seul. C’est consternant ! Jonathan Coe, lui, détient un certain talent pour prélever un échantillon dans le quotidien, le mettre en culture, et nous assommer d’une vision monstrueuse de ce qui nous paraissait loin et pas bien terrible auparavant. Il fait de même dans son précédent roman, La pluie avant qu’elle tombe, où l’on aperçoit le gouffre où peut mener le fil du traumatisme transgénérationnel si l’on ne fait rien pour briser le schéma. Après la relation mère-fille dont il est question dans ce dernier, l’auteur traite ici de la relation père-fils à travers une absence de communication destructrice. Ce roman a encore l’intérêt d’interroger l’impact des nouvelles technologies sur nos relations : notre rapport à nous-mêmes, à l’autre et au monde. Il en ressort un effarant constat de solitude, de superficialité et de déception. L’interface ne peut nous combler en tant qu’être humain : la présence physique de l’autre est primordiale à la constitution d’une véritable relation. Jonathan Coe nous renvoie en pleine figure ce que nous côtoyons de très près, chaque jour, sans vraiment nous questionner. Cela dit, il manque, me semble-t-il, la hargne des premiers récits. C’est mon regret. Car, quitte à nous mettre une claque, autant qu’elle soit suffisamment puissante pour être salutaire. Pour les masochistes, lisez au moins son Testament à l’anglaise.

Jonathan Coe, La vie très privée de Mr Sim, Gallimard, 2011, 450 p.

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