dimanche 14 août 2011


Le jeune Pete Fromm voulait lui aussi avoir son histoire à raconter. Et bien, il l’a eu, et quelle histoire ! Un véritable récit d’apprentissage, sincère et drôle, qui nous happe et nous entraîne à la suite du jeune homme pour un long hiver dans les Rocheuses.

Alors qu’il n’était encore qu’un étudiant en biologie animale dans le Montana, mais aussi grand lecteur de récits de trappeurs, Pete Fromm s’engage sur un coup de tête dans une mission de sept mois qui consiste à garder un bassin rempli d’œufs de saumons dans la Selway River, une sinueuse rivière engouffrée dans un canyon aux parois sombres et accidentées. Autant dire que le soleil a vite fait de disparaître derrière la masse rocheuse. Mais Pete ne sait rien du terrain qui sera le sien durant ce long hiver car il avoue n’avoir consulté aucune carte avant son départ !

On ne saurait trop saluer le talent de conteur de Pete Fromm. Ses moments de désespoir et d’euphorie, ses observations et réflexions sur son terrain et les animaux qui le peuplent, son évolution face à cette expérience intense, tout nous semble proche, évident, palpable. Oui, on pourrait dire qu’on a la sensation d’une réelle proximité avec le narrateur alors qu’il s’agit tout de même d’une expérience profondément intime avec les grands espaces. L’auteur réussit à nous rendre tout cela accessible, on s’y croirait ! Il y a par exemple cette façon de raconter sa rencontre avec le lynx : il observe des traces, puis d’autres, n’y comprend plus rien, et enfin réussit à réunir les différents indices pour tenter de saisir ce qui s’est réellement passé entre le cerf et le lynx. C’est cette progression dans l’écriture qui nous donne l’impression d’être sur place avec lui.

Cet ouvrage n’est pas une réflexion philosophique sur la nature et son rapport à l’homme ni un éloge poétique aux grands espaces, il s’agit d’une succession de prises de consciences non moins essentielles et premières dans cette expérience du monde sauvage. Pete Fromm nous livre « un monde en noir et blanc » avec un réalisme cruel et ce qu’il a su éveiller en lui avec honnêteté et beaucoup d’humour.

« Plus tard, lorsque j’abattis mon premier arbre (il s’agissait d’un chicot, avais-je appris, pas d’un arbre mort), j’en choisis un tellement incliné que j’étais certain qu’il tomberait du côté que je souhaitais. Je fis une première entaille, puis vérifiai plusieurs fois que l’arbre penchait toujours dans la même direction. Au moment de le couper, j’entaillai son tronc sur un ou deux pouces avant de jeter un coup d’œil pour m’assurer qu’il n’allait pas tenter un sale coup. Pour finir, je le sciai sans le quitter des yeux et, dès le premier signe de tremblement, j’éteignis la tronçonneuse et détalai comme un lapin.
Comme je n’entendais aucun bruit, je m’arrêtai en laissant un autre arbre entre moi et ma victime. Mon chicot était toujours debout. Il ondulait certes davantage que tout à l’heure, mais il restait debout. Je me cachai derrière l’arbre, stupide et ne sachant que faire. C’est alors qu’une forte bourrasque fit violemment craquer le chicot qui commença à tomber. Lorsqu’il toucha le sol, je poussai un cri de victoire dont je ne me savais pas capable. Je me mis à le débiter. Très vite, j’enlevai mes chemises, heureux de sentir l’air de l’automne sécher ma sueur. » (p.40-41)

Pete Fromm, Indian Creek, Gallmeister/Totem, 2010, 240 pages
Traduit de l'américain par Denis Lagae-Devoldère
 

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